dimanche 9 avril 2017

AVANT-GARDE / Pièce de Marieluise Fleisser, mise en scène par Denis Marleau

Avant-Garde, texte de Marieluise Fleisser, traduction d'Henri Plard (Les Éditions de Minuit), adaptation et mise en scène de Denis Marleau, scénographie et vidéo de Stéphanie Jasmin, trame sonore, arrangements et interprétation des chansons par Jérôme Minière, musique de Kurt Weil, une coproduction ESPACE GO + UBU, présentée dans la salle de répétition de l'ESPACE GO, du 21 mars au 15 avril 2017.

D'une durée d'une heure et trente minutes, sans entracte, dans une mise en scène cérébrale, cette pièce exigeante, et pour le spectateur et pour la comédienne Dominique Quesnel, seule en scène, interrompue uniquement par l'interprétation de cinq chansons (une en anglais, quatre en allemand) par Jérôme Minière, cette pièce, donc, relate la relation amoureuse et ambiguë vécue entre une jeune fille de province, Cilly Ostermeier (l'auteure elle-même), et le Poète, soit le jeune Bertolt Brecht, en pleine ascension.

Nous sommes dans les années vingt, à Berlin, ville illustrée par des projections de photos d'archives, en noir et blanc,  sur deux boîtes écrans, l'une rectangulaire, où se tient Jérôme Minière, l'autre, carrée, où se réfugie à l'occasion Dominique Quesnel, boîtes reliées par une étroite passerelle en bois, sur laquelle se tient généralement le personnage féminin, pieds nus.

« [...] Marieluise Fleisser transcende cette expérience qu'elle a vécue dans une oeuvre littéraire qui secoue profondément les paradoxes d'une femme créatrice, prise entre ses incertitudes, ses doutes, son désir amoureux et la nécessité de se rebeller et d'assumer pleinement la construction de son oeuvre. [...] Marieluise Fleisser porte un regard lucide et sans compromis sur la complexité de sa situation de femme muse et de femme créatrice. » (Denis Marleau, Note de mise en scène)

Après quelques années houleuses partagées avec Brecht [de 1923 à 1929] et la présentation de sa deuxième pièce à Berlin en 1929, Pionniers à Ingolstadt, mise en scène par ce dernier d'une « façon provocante et sulfureuse et qui fit scandale », Marieluise Fleisser retourne à Ingolstadt, sa ville natale, en Bavière, où elle se mariera avec un commerçant (dans la pièce, avec Niko, un champion de natation), et où elle demeurera pendant presque trente ans, dans « une sorte d'exil intérieur ». En 1958, elle reprend la plume et publiera nouvelles, pièces et récit, dont Avant-Garde en 1962.

Jouant de sa voix sur deux registres, comme une petite musique, l'actrice, remarquable de présence et d'abandon, utilise une voix flûtée, presque chantée, et à quelques reprises une voix plus grave, comme une voix de tête (la voix de la raison, la voix de Brecht...). Sorte « [d'] oiseau migrateur pour éviter de se briser les ailes », Cilly, « le double imaginaire de Fleisser », doit admettre que « personne ne possède personne », que « l'époque avait sa férocité propre ».

« [...] membrane frémissante, secouée de vibrations insupportables », Cilly, sur un fond sonore de bruits de bottes qui envahit l'espace, ne peut « [qu'] espérer qu'elle allait survivre ».

Pour les aficionados de Brecht, voir Marieluise Fleisser [1901-1974], Souvenirs sur Brecht, Les Éditions de Minuit, 1972.

« N'avons-nous point aujourd'hui encore une société en mal de délivrance ? Je vois partout se répandre l'isolement, la toxicomanie, l'agression aveugle, le désir d'opprimer, la volonté d'en imposer de la part de groupes et toujours sans cesse un comportement de horde envers les marginaux. Où est passé le souci d'humanité ? »  (Marieluise Fleisser, 1972)

 9/10

Mots-clés : Marieluise Fleisser, Dominique Quesnel, Jérôme Minière, Denis Marleau, Bertolt Brecht, Kurt Weil, "ESPACE GO", UBU, "Avant-Garde"