vendredi 8 décembre 2017

LE JOUR D'AVANT / Sorj Chalandon


Le Jour d'avant, Paris, Grasset, 2017, 332 p.

« À la mémoire des 42 mineurs morts à la fosse Saint-Amé de Liévin-Lens, le 27 décembre 1974. »

Le ton est donné. Attention, fidèle lecteur, fidèle lectrice, il ne s'agit pas ici d'un essai sur l'atroce condition des mineurs, mais bien d'un roman, palpitant, magnifiquement écrit, qui vous serrera le coeur et les tripes, qui vous bouleversera et vous renversera...

De 1974 à 2017, l'auteur dessine le destin de Michel Flavent (16 ans), le frère de Joseph « assassiné par les Houillères à l'âge de trente ans » (p. 42), dans le Nord-Pas-de-Calais, jusqu'à son internement en 2017, à l'âge de 59 ans, sous le nom de Michel Delanet.

Ce roman, puisqu'il s'agit bien d'un roman, combine les codes du polar (vengeance, procès) au roman psychologique et au documentaire, le tout enrobé dans une langue précise, détaillée et une écriture fragmentée, nous faisant ainsi découvrir la réalité d'un monde inconnu, sinon par le biais lointain de Germinal d'Émile Zola.

Disparition d'un monde ouvrier, procès du capitalisme triomphant, lutte des classes, Chalandon dénonce « l'injustice ajoutée à la douleur » (p. 80), expose « le grand drame [qui] a effacé le petit » (p. 265). Tout comme dans le Quatrième Mur (2013) (prix Goncourt des Lycéens), l'auteur joue avec adresse de la temporalité, multipliant les allers-retours dans le temps. Au lecteur d'être attentif pour ne pas perdre le fil du récit...

Dois-je préciser que j'ai adoré ce roman et que je le recommande fortement, même si l'univers décrit est dur, noir comme ces « hommes à gueule de charbon » (p. 33).

« C'est comme ça la vie. »

Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est aussi l’auteur de sept romans, tous parus chez Grasset.

EXTRAIT :

« Venge-nous de la mine », avait écrit mon père. Ses derniers mots. Et je le lui ai promis. À sa mort, mes poings menaçant le ciel. Je n'ai jamais cessé de le lui promettre. J'allais venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, mort en paysan. Venger ma mère, morte en esseulée. J'allais tous nous venger de la mine. Nous laver des Houillères, des crapules qui n'avaient jamais payé leurs crimes. J'allais rendre leur dignité aux sacrifiés de la fosse 3bis. Faire honneur aux martyrs de Courrières, aux assassinés de Blanzy, aux calcinés de Forbach, aux lacérés de Merlebach, aux déchiquetés d'Avion, aux gazés de Saint-Florent, aux brûlés de Roche-la-Molière. Aux huit de La Mûre, qu'une galerie du puits du Villeret avait ensevelis. J'allais rendre vérité aux grévistes de 1948, aux familles expulsées des corons, aux blessés, aux silicosés, à tous les hommes morts du charbon sans blessures apparentes. Rendre justice aux veuves humiliées, condamnées à rembourser les habits de travail que leurs maris avaient abîmés en mourant. » (p. 130)

9,5/10 Sorj Chalandon, "Le Jour d'avant", Germinal, Émile Zola