mardi 31 juillet 2018

ULTIMA NECAT I JOURNAL INTIME 1978-1985 / Philippe Muray

Ultima necat I Journal intime 1978-1985, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 621 p.

Édition établie par Anne Sefrioui.

Postface, d'Anne Sefrioui, p. 581-585 ; ANNEXE. Muray avant Muray : Premiers Écrits, d'Alexandre de Vitry, p. 587-590 ; Index des noms, p. 591-604 ; Index des oeuvres, p. 605-619 ; Table des matières, p. 621.

Vulnerant omnes, ultima necat.

Locution latine anciennement placée sur les cadrans d’horloge ou solaires des édifices publics ou des églises, signifiant que l'existence humaine n'est que souffrance...

Elles [les heures] blessent toutes, la dernière tue.

Essayiste et romancier, Philippe Muray est né le 10 juin 1945 à Angers et est décédé à Paris le 2 mars 2006. Étoile « noire » de la littérature française contemporaine, son oeuvre protéiforme, consacrée à la Grande Littérature, demeure peu connue du grand public, même si, pour des raisons alimentaires, il est l'auteur, sous pseudonyme, de près d'une centaine de polars grand public, publiés dans la collection « Brigade mondaine ».

À ce sujet, lire le portrait tracé par Jacques Drillon :

« Philippe Muray le mercenaire de Gérard de Villiers », L'OBS, no 2632, 16 avril 2015, p. 64-69.

« Vivre de ce qu'on hait le plus est une malédiction. Et c'est le cas de Philippe Muray, penseur intransigeant, l'homme des « Exorcismes spirituels », de « l'Empire du bien », le contempteur du monde moderne, qui offre la vision la plus noire de ce que nous sommes devenus, la perspective la plus escarpée de ce que nous devrions être. » (Jacques Drillon, p. 68)

« Philippe Muray se voulait le chroniqueur et le contempteur du désastre contemporain, cette époque où « le risible a fusionné avec le sérieux », où le « festivisme » fait loi. Son œuvre stigmatise, par le rire, la dérision et l'outrance de la caricature, les travers de notre temps. Il inventa pour cela (dans Après l'Histoire) une figure emblématique de ce temps : Homo festivus, le citoyen moyen de la post-histoire, « fils naturel de Guy Debord et du Web ». » (Wikipédia)

Deux conditions sont requises pour le lecteur de ce Journal : aimer plonger dans les journaux intimes et prendre le temps, car cette lecture est non seulement exigeante mais laborieuse. Muray est une encyclopédie vivante et, dans les premières années de ce journal, il écrit abondamment sur les religions, le gnosticisme, les philosophies anciennes et les écrivains en vogue au XIXe siècle. Les notes et commentaires sont rares et, pour un lecteur moyen, il est difficile de suivre cette pensée complexe, en ébullition. Par contre, le plaisir est d'être dans « la marmite de l'écrivain », dans son labeur quotidien, de souffrir avec lui de sa solitude, de ses angoisses, de ses remises en question constantes, de suivre le déroulement de ses projets littéraires, de « [...] son « roman » fou, où il veut tout mettre, les histoires, les gens, le sens, le monde et expérimenter toutes les techniques ». (Jacques Drillon, p. 68) Et aussi, plaisir de l'écriture, des fulgurances, des jeux de mots, de la phrase bien tournée, de l'abandon quasi total à la vérité, à la littérature.

Ce livre « [...] n'est pas à mettre entre toutes les mains [...] c'est un livre inacceptable. [...] Car on ne peut plus entendre, nous qui sommes définitivement vaincus par « ce qu'on nous oblige à penser » (Ponge), ce qu'il écrit des femmes, de l'indifférenciation sexuelle, de la perversité des enfants, de la répugnance à l'idée de procréer, de la catastrophe égalitariste, des homosexuels, des journaux, de l' « espèce humaine » [...]. » (Jacques Drillon, p. 68)

« Le Journal de Philippe Muray, qui s'ouvre le 17 août 1978, se comprend mal si l'on ne saisit dans quel contexte il s'est élaboré. Treize ans avant L'Empire du Bien, il n'est guère question de musique techno, d' « envie du pénal » ni, bien sûr, de Paris-Plage, mais plutôt de métaphysique, de théologie, de gnosticisme et, au sommet, de littérature. Ce Journal, s'il peut sembler indiquer l'origine du cheminement intellectuel de Muray, est en réalité tard venu. L'auteur a déjà trente-trois ans, et une première série d'ouvrages derrière lui, qui approfondissent une réflexion obsessionnelle portant sur la question de la masse, du multiple, du pluriel, du grand nombre, et dessinant son envers en voie de disparation : l'unique, le singulier, l'individuel. Dans une langue difficile, truffée des « scories » de son époque, [...] Muray explore les thématiques qui présideront ensuite à toute son oeuvre, des tribulations critiques du 19e siècle à travers les âges à la description infatigable des vagissements d'Homo festivus. » (Alexandre de Vitry, ANNEXE. Muray avant Muray : Premiers Écrits, p. 587)

« Muray conceptualise l' « envie du pénal », qui désigne la volonté farouche de créer des lois pour « combler le vide juridique », c'est-à-dire, selon lui, pour supprimer toute forme de liberté et de responsabilité. Envie de pénal qu'on retrouve aussi dans la judiciarisation de la vie quotidienne, autrement dit le recours permanent aux tribunaux pour régler les problèmes auxquels les individus sont confrontés. » (Wikipédia)

« « Le Journal entraîne les plus grandes questions qu'un écrivain puisse se poser de son vivant : celle de l'héritage, celle du légataire, celle de l'exécuteur testamentaire. C'est en effet son corps, pour le coup, son vrai corps, qu'il abandonne aux chiens en mourant. » Ces mots écrits par Philippe Muray le 30 janvier 1995 donnent la mesure de la responsabilité qui m'incombe en publiant ce Journal : me voici conduisant la meute, livrant en pâture ce corps qui n'est pas le mien, avec pour seule espérance d'être la fameuse chienne de tête célébrée par Céline, celle qui, sous la glace où glisse le traîneau, pressent les dangers. » (Anne Sefrioui, Postface, p. 581)

« [...] il m'est apparu [...] que j'avais sous les yeux une oeuvre d'écrivain exceptionnelle, où ma susceptibilité n'avait guère sa place. C'est ainsi qu'après de nombreux atermoiements [...], une publication in extenso m'a paru s'imposer. Toutefois, mon immolation à la littérature a ses limites, aussi ai-je procédé à quelques coupures sur des passages concernant ma vie intime, m'estimant déjà suffisamment exposée : caviardage modeste puisque sur ce copieux premier volume par exemple, elles ne représentent qu'une dizaine de pages. Et que les puristes se rassurent, je ne suis pas Mme Jules Renard : il est d'ores et déjà entendu que les originaux de cette publication seront déposés dans un fonds littéraire national, et un jour consultables. » (Anne Sefrioui, Postface, p. 584)

« [...] Nécessité de tenir mon Journal : dire le plus crûment possible tout ce que je pense être vrai et qui ne peut en aucune façon être avoué publiquement. Il y a des choses dont l'aveu vous condamne à jamais. Ça s'est passé à toutes les époques, mais plus encore dans notre société cordicole d'aujourd'hui. Donc, Journal. Cette activité « archaïque » justifiée par ce qu'il y a de plus moderne ou post-moderne dans l'ambiance de maintenant : l'impératif de Vertu totale dont les médias surveillent quotidiennement l'application. Mon Journal est la part nécessairement clandestine de ma constante mise en question des valeurs (des mensonges) morales de l'an 2000. Et ce qu'on ne peut pas dire, il faut l'écrire ici » (30 octobre 1987). » (Philippe Muray, cité dans la Postface, p. 582)

« Un Journal qui se respecte ne peut être que d'outre-tombe. Les livres qu'on publie de son vivant, si provocants qu'ils paraissent, ne sont que des concessions. Un Journal est la mise en scène de l'impubliable sans masque. » (Philippe Muray, cité dans la Postface, p. 582)

« La teneur souvent sombre, âpre, tourmentée, de ce premier tome pourra surprendre les lecteurs du brillant Muray des dernières années. Car il y a loin entre le jeune écrivain inconnu qui débute son journal en 1978, à trente-trois ans, et l'homme mûr qui l'achève le 31 décembre 2004, vingt-six ans plus tard, avec ces mots : « Ici se termine non seulement l'année mais aussi, et pour des raisons que je n'ai pas le temps de déployer, la rédaction de mon Journal. Disons que, d'une part, il commençait à m'ennuyer, comme ma vie, comme la vie en général, et que, d'autre part, il était devenu ce qui m'occupait suffisamment pour que je n'aie pas le temps d'écrire autre chose... » [...] aux toutes premières années, relativement courtes, succède un gonflement des pages spectaculaire, qui donne la mesure du temps accordé par Muray à cette part de son oeuvre. Ainsi, ce tome I rassemble huit ans d'écrits, mais le deuxième n'en comportera que deux, rythme qui sera celui des volumes suivants. » (Anne Sefrioui, Postface, p. 584-585)


« [...] cinq ans après 1968, année d'une célèbre conférence de Barthes sur « La mort de l'auteur », et sept ans après la publication des Mots et les Choses, où Foucault proclamait « la mort de l'homme ». Au tour de Muray de faire naître une littérature de « la mort de l'individu ». (Alexandre de Vitry, ANNEXE..., p. 588)

« Emmenant avec lui une série d'illustres prédécesseurs, comme il le fera dans Le 19e siècle à travers les âges (ici : Mallarmé, Joyce, Stirner, Céline, Sade, Rabelais, Zola, Soljenitsyne...), Muray donne à la littérature une mission de lucidité : éclairer la réalité du multiple, du massif, secret caché au fond de l'Être, pour faire saillir, du même coup, le propre aporétique de l'écrivain : devenir unique en saisissant, d'un seul coup, tout le monde. « Écouter le nombre, écrire en multiple, c'est tout de suite se prendre pour ils en disant je à toutes les places. » » (Alexandre de Vitry, ANNEXE..., p. 589)

9/10 Philippe Muray, "Ultima necat I Journal intime 1978-1985", "Journal intime", Écriture, Essai, Roman