mardi 27 novembre 2018

THE HOUSE THAT JACK BUILT (LA MAISON QUE JACK A CONSTRUITE) / Film réalisé par Lars von Trier

CINÉMA DU PARC, Montréal, le 27 novembre 2018

The House That Jack Built / La maison que Jack a construite, Danemark, France, Allemagne, Suède, 2018, 155 minutes. R. : Lars von Trier ; Sc. : Lars von Trier, Jenle Hallund.

MONSIEUR SOPHISTICATION et MONSIEUR MANIPULATION

Jack, brillamment interprété par Matt Dillon, incarnation glacée et dérisoire de « la banalité du Mal », est un tueur en série qui a commis plus d'une soixantaine d'assassinats « artistiques » dans l'État de Washington, dans les années 1970 et 1980. Pour le soin qu'il apporte dans la mise en scène de ses meurtres sordides en « sculptant » et en photographiant le corps de ses victimes, il est affublé du surnom de Monsieur Sophistication. Ces victimes sont considérées par cet ingénieur affligé d'un trouble obsessionnel compulsif (TOC), qui se définit comme architecte, comme un vulgaire matériau, semblable au  bois, à la pierre ou à la brique qu'il utilise dans la construction de sa propre maison, qu'il détruira à maintes reprises, toujours insatisfait du résultat.

Précédant et accompagnant tout au long du film les cinq chapitres (appelés incidents), soit les cinq séquences meurtrières choisies par Jack pour illustrer son « art », on entend en voix hors champ sa  « confession » à un dénommé Verge qui lui donne la réplique, mais qui n'apparaîtra qu'à l'épilogue, pour conduire Jack dans les cercles de l'enfer (allusion très nette à Virgile, auteur de l'Énéide, épopée en vers dont le Chant VI est le récit de la descente d'Énée aux Enfers). Cet épilogue, intitulé Catabase, (du grec ancien κατάϐασις / katábasis, « descente, action de descendre ») est un motif récurrent des épopées grecques, traitant de la descente du héros dans le monde souterrain, les Enfers. (Wikipédia)

Jack célèbre le meurtre comme une libération, comme l'art de l'artiste qu'est le tueur en série, aucune morale n'étant apte à recouvrir le caractère inhérent à toute nature humaine et animale, la Sauvagerie étant l'envers de l'Innocence, axiome illustré par l'oxymoron Dark Light. Lars von Trier, manipulateur fabuleux et retors, utilise l'art sous diverses formes afin de forcer le spectateur à avaler la pilule « acide » de la violence sordide, brutale, sans concession, même si elle touche des femmes ou des enfants sans défense. Art architectural (monuments de l'ère du Reich), musical (nombreux extraits récurrents de Glenn Gould au piano), pictural (toile de Delacroix entre autres), cynisme, humour noir, tout concourt à maintenir le spectateur dans une position intenable, à le mettre en contact avec les zones sombres de sa psyché, le conduisant presque à justifier ou tout au moins à comprendre certains actes de Jack, l'Art étant perçu comme la Valeur suprême.

« Cette conception de l’art pour l’art, ou plus exactement de l’art sans entraves, renvoie sans doute à ce refus de la modernité qui caractérise le cinéma de Lars von Trier depuis longtemps. C’est, notamment, dans le paradoxe qui consiste à regarder avec un détachement candide et scandaleux à la fois les horreurs de l’Histoire que se situe la vérité d’un chef-d’œuvre unique et exaltant. » (Jean-François Rauger, « « The House That Jack Built » : portrait de l'artiste en psychopathe », Le Monde.fr, 2018-10-16.)

Sans compter que Von Trier compare son personnage au président des États-Unis, Donald Trump :

« Le film célèbre l'idée que la vie est maléfique et dénuée d'âme, ce qui a malheureusement été prouvé par l'avènement récent de l'homo trumpus : le roi rat. » (Alix Fourcade, « Lars von Trier inspiré par Donald Trump pour son nouveau film », Le Figaro,




« Après sa trilogie « féminine » (Antichrist, Melancholia, Nymphomaniac), le cinéaste continue de s’affirmer comme un alchimiste médiéval, un artiste scrutant les abymes d’un monde originaire pour y retrouver l’élan pulsionnel, la formule secrète, entre kitsch et sublime, entre humour et romantisme noir, qui donnerait la clé tout à la fois d’une explication de l’Univers et de ses lois mystérieuses, ainsi que de la possibilité de sa transposition symbolique. » (Jean-François Rauger, « The House That Jack Built » : portrait de l’artiste en psychopathe », Le Monde.fr,‎

Cannes 2018 : « « The House That Jack Built », le cauchemar meurtrier de Lars von Trier », Le Monde.fr, 15 mai 2018.

Pour CinéSéries, le film est une « une touchante coloscopie dans la psyché de son créateur maudit, comme une édifiante maison cadavérique, cocon à la fois grotesque et protecteur, prêt à s’écrouler d’un moment à l’autre. » (« The House That Jack Built (Film, 2018) – La Critique – CinéSéries », CinéSéries,‎

« À l'inverse, Barbara Théate du Journal du Dimanche s'insurge notamment contre l'image de la femme dans le film de Von Trier : « la femme est toujours stupide et hautement sacrifiable. Avec une cruauté à peine soutenable. Surtout, le récit vire à l’autocélébration, se révèle sentencieux, long et ennuyeux. ». Pour Hélène Marzolf de Télérama, le cinéaste « se complaît dans un sadisme raffiné. Le second degré ne sauve pas cette démonstration boursouflée, simpliste et gratuite ». Ou encore pour la rédaction du Figaro : « Lars von Trier multiplie les provocations, frôle le ridicule, cite ses propres films et Albert Speer, s'extasie sur les stukas et les vins doux. » » (« First Man, Capharnaüm, The House That Jack Built... Les films à voir ou à éviter cette semaine », FIGARO,‎
chacun le soin de forger sa propre opinion.










Eugène Delacroix, La Barque de Dante ou Dante et Virgile aux enfers (1822) 
 

 Tableau vivant dans le film  

"Drame d'épouvante", Lars von Trier, "The House That Jack Built", "La maison que Jack a construite", "Descente aux enfers", Thriller