jeudi 13 décembre 2018

ROMA / Film réalisé par Alphonso Cuarόn



CINÉMA MODERNE, Montréal, le 13 décembre 2018

Roma, Mexique, États-Unis (Netflix), 2018, 135 minutes. R. et Sc. : Alphonso Cuarόn. Lion d'or de la Mostra de Venise 2018 ; meilleur film, meilleures réalisation et direction photo (New York Film and Critics Circle 2018).


Ni film italien ni documentaire sur la ville éternelle, Roma est, au contraire, un splendide film mexicain, en noir et blanc, sans musique, produit et distribué par Netflix, une chronique de la vie quotidienne dans un quartier cossu de la ville de Mexico, au début des années 1970, à même les souvenirs du réalisateur-scénariste (Y tu mamá también, Gravity). Tout, en principe, pour rebuter l'amateur de cinéma, sauf qu'Alphonso Cuarόn est non seulement un cinéaste talentueux, mais aussi un maître du cinéma réaliste et de l'image.

Roma débute par un magnifique générique, long plan séquence montrant en gros plan de l'eau savonneuse qui coule sur des carreaux de céramique, miroir dans lequel se reflète brièvement un avion dans le ciel, image inattendue et porteuse de toute la beauté et de l'intensité de ce film.

Cet ouvrage n'est pas donné d'emblée. Sa longueur (135 minutes), sa lenteur, son absence apparente d'enjeux dramatiques peuvent agacer au début, étonner tout du moins. Cuarόn prend tout son temps pour présenter les différentes pièces de la grande maison, personnage au même titre que les principaux protagonistes qui y vivent : les parents : Antonio, médecin de son état, et Sofia, son épouse et mère de leurs quatre jeunes enfants ; la grand-mère maternelle ; de nombreux domestiques qui alternent entre l’espagnol et le mixtèque, la langue indigène de l’État de Oaxaca, dont l'émouvante et inoubliable Cleo, interprétée par Yalitzia Aparicio, madone de l'amour, de la compassion, de la générosité et de la non-violence, sur qui repose en très grande partie la force et la splendeur de ce film. Sans oublier Borras, le chien aux innombrables crottes, qui cherche constamment à prendre la rue, dont les aboiements, mêlés à ceux des nombreux chiens des environs, constituent une grande part de la bande sonore, extrêmement travaillée, riche des battements du coeur de la ville.

Si, dans un premier temps, l'univers décrit apparaît lisse et sans faille, rapidement se dessinent de nombreux drames, d'autant plus violents qu'ils sont inattendus : lâche abandon du père, rupture sauvage de l'amant de Cleo, apprenant qu'elle est enceinte, irruption de la terreur (une rare scène de pure violence), images de la répression d'une manifestation étudiante (1971), matée dans le sang (plus d’une centaine de morts) par les escadrons des Halcones, milice paramilitaire formée par la CIA, dont fait partie Fermin, l'ex-amant de Cleo (lire la critique de Didier Péron, « Roma, le Mexique domestique d'Alphonso Cuarόn », Libération, 11 décembre 2018).

Reposant sur les épaules des femmes, et la vie quotidienne et le film, les hommes n'y ont pas le beau rôle : vaniteux, égoïstes, menteurs, violents, ils n'ont même pas l'excuse de la pauvreté et de l'ignorance. Un film en hommage aux femmes de basse condition, sur qui, trop longtemps, se sont édifiées la richesse et l'opulence des classes bourgeoises.

Si la tension croît au fur et à mesure par l'accumulation des événements qui fracassent la vie des personnages, elle atteint son apogée à la mer, au cours d'une scène dramatique où seront dévoilés secrets enfouis et une Pietà bien mexicaine (voir la photo de droite, au haut de l'article). L'humour est loin, toutefois, d'être absent. L'utilisation répétitive de la Ford Galaxy du médecin, les répliques du petit Pepe, les scènes d'arts martiaux sont un joyeux contrepoint à la tristesse et à la douleur qui se dégagent de nombreuses scènes. La vie et l'amour sont plus forts que les malheurs qui s'abattent sur les héros, le film se clôturant à nouveau sur l'image d'un avion dans le ciel...  

Courez voir ce film sur grand écran, surtout si vous n'êtes pas abonné à Netflix... Il est présenté au Cinéma Moderne jusqu'au 6 janvier 2019.



9,5/10 Alphonso Cuarόn, Roma, Chronique, "Drame mexicain"