lundi 25 mars 2019

LA CHUTE DE L'EMPIRE AMÉRICAIN / Film réalisé par Denys Arcand

THÉÂTRE OUTREMONT, Montréal, 25 mars 2019

La Chute de l'empire américain, Québec, Canada, 2018, 130 minutes. R. et Sc. : Denys Arcand.

À mi-chemin entre Les Ripoux, comédie réalisée par Claude Zidi en 1984, mettant en vedette Philippe Noiret et  Thierry Lhermitte, et la série télévisée québécoise en 50 épisodes Les Bougon, c'est aussi ça la vie !, écrite par François Avard et Jean-François Mercier, réalisée par Alain Desrochers, le film d'Arcand en prend le contrepied. Ce ne sont plus les policiers ni les laissés pour compte du capitalisme qui sont véreux, mais bien les différents acteurs sociaux : politiciens, avocats, financiers, bandes criminelles, etc.

La Chute de l'empire américain a suscité chez moi des réactions partagées, mitigées. Autant la qualité des dialogues, leur tranchant, leur mordant, leur causticité, leur ironie « socratique » me sont apparus percutants et hilarants, autant le scénario échevelé du braquage et de l'enquête policière m'a semblé cousu de fils blancs, réducteur, de même que les principaux personnages iconiques : la putain au grand coeur, le docteur ès philosophie en livreur coursier, le motard repenti, le fiscaliste des paradis fiscaux en amoureux transi, le chef de bande des Noirs de Montréal-Nord, peu crédible avec son grigri, et ses acolytes aussi talentueux qu'une bande de pieds-nickelés, sans oublier le couple d'inspecteurs, toujours en retard d'un train.

Si le spectateur est prêt à passer par dessus toutes ces outrances et ces caricatures grossières, il passera un bon moment, surtout que Arcand a l'art de diriger ses acteurs et de les rendre attachants, en dépit ou à cause de leurs défauts : Rémy Girard en motard repenti, devenu à sa sortie de prison spécialiste en placements financiers ; Pierre Curzi, maître Taschereau, spécialiste des paradis fiscaux, suave et cauteleux à souhait ; Alexandre Landry, le jeune héros prêt à donner sa chemise aux plus démunis ; Maripier Morin, Aspasie, escorte de luxe, belle à mourir, qui tombera amoureuse du jeune héros naïf et l'initiera aux choses de la vie ; Louis Morissette, inspecteur Pete LaBauve (qui se cache sous ce nom saugrenu ?), sans compter toute une bande de « joyeux » itinérants...

Comédie policière qui se voudrait chronique sociale ? C'est là où le bât blesse. Ces itinérants trop propres et gentils, que la Providence, sous les traits de notre trio d'enfer (l'ex-motard, l'ex-excorte et l'ex-livreur), comblera de sa divine générosité, sont peu crédibles, même si apparaissent, en caméo, quelques figures tragiques, personnifiées par de vrais itinérants, Inuits et Amérindiens. Malheureusement, Arcand ne fait qu'effleurer le sujet, leur réalité, la perte de leur autonomie et de leur culture.

La finale du film, saisissante, est une série de portraits de ces hommes et femmes qui défilent à l'écran, en nous regardant bien dans les yeux, qui nous renvoient à notre culpabilité historique, à notre responsabilité en tant que société et individu. Bien sûr, il s'agit ici d'une comédie policière, ne l'oublions pas, et non d'un documentaire ou d'un drame sociétal, qui aurait pu conduire La Maudite Galette (1972) dans un Joyeux Calvaire (1996), film sur l'itinérance, avec Benoît Brière et Gaston Lepage, que l'on retrouve à nouveau ici en itinérants.

C'est bien là l'angle mort de la Chute..., film moralisateur qui cherche à attirer l'attention sur le sort des itinérants, des plus « poqués » et des plus démunis d'entre eux, mais qui se retire sur la pointe des pieds...

7/10 Denys Arcand, "La Chute de l'empire américain", "Comédie policière", Itinérance