dimanche 10 février 2019

L'ADVERSAIRE / Emmanuel Carrère

L'Adversaire, Paris, P.O.L., Éditions du Club France Loisirs, 2000, 222 p.


« Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand a tué sa femme, ses enfants, ses parents, puis tenté, mais en vain, de se tuer lui-même. L’enquête a révélé qu’il n’était pas médecin comme il le prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu’il n’était rien d’autre. Il mentait depuis dix-huit ans, et ce mensonge ne recouvrait rien. Près d’être découvert, il a préféré supprimer ceux dont il ne pouvait supporter le regard. Il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Je suis entré en relation avec lui, j’ai assisté à son procès. J’ai essayé de raconter précisément, jour après jour, cette vie de solitude, d’imposture et d’absence. D’imaginer ce qui tournait dans sa tête au long des heures vides, sans projet ni témoin, qu’il était supposé passer à son travail et passait en réalité sur des parkings d’autoroute ou dans les forêts du Jura. De comprendre, enfin, ce qui dans une expérience humaine aussi extrême m’a touché de si près et touche, je crois, chacun d’entre nous. » (2e de couverture)

Je tiens Emmanuel Carrère pour l'un des plus grands écrivains français contemporains.  Entre 1982 et 2000, il a publié de nombreux romans et essais, huit pour tout dire, jusqu'à la publication de L'Adversaire, qui marque une rupture fondamentale dans la suite de son oeuvre : Un roman russe, D'autres vies que la mienne, Limonov, Le Royaume, Il est avantageux d'avoir où aller.

« J'ai renoncé à m'absenter, j'ai écrit le livre à la première personne. Je pense sans exagérer que ce choix m'a sauvé la vie », avoue ici Emmanuel Carrère.

« La fiction ne suffit peut-être alors plus et l'écrivain se tourne vers l'enquête, quand le réel demande justement à être envisagé de face, sans écran, en exposant celui qui devient autant le témoin que le narrateur malgré lui. Ce tournant vers la non-fiction implique donc un dévoilement autobiographique, entre narcissisme et conscience critique de soi, que racontent tous les livres publiés depuis L'Adversaire. Il implique aussi une ouverture aux autres, une attention morale à ce que l'écriture peut produire comme effets catastrophiques ou bénéfiques sur les proches. »

Dominique RABATÉ et Laurent DEMANZE, « Avant-propos », dans Emmanuel Carrère. Faire effraction dans le réel, Paris, P.O.L., 2018, p. 8 et 9.

Sous la direction des préfaciers, ce volume de 559 pages « [...] prend la mesure de l'oeuvre, et ouvre l'atelier de l'écrivain. On y trouvera un ensemble de textes d'Emmanuel Carrère, articles, scénarios inédits, correspondances, un cahier iconographique, des témoignages d'amis et d'écrivains, des études critiques. » (4e de couverture)

Que le lecteur et la lectrice se rassurent. En dépit de la démesure et de l'insoutenable vérité, pour ne pas dire atrocité, de ce « fait divers », bien réel, l'écriture de Carrère, son approche personnelle, son questionnement, sa quête de réponses chez Romand permettent de traverser cette épreuve sans y perdre son âme ni sa foi dans le genre humain.

« J’ai pensé qu’écrire cette histoire ne pouvait être qu’un crime ou une prière. »
Paris, janvier 1999 (L'Adversaire, p. 222)

« […] condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans. Si tout se passe bien, [Jean-Claude Romand] sortira en 2015 âgé de soixante et un ans. » (p. 204)

 Lire l'excellent article de Julie Brafman, « Récit. Jean-Claude Romand reste en prison », Paris, Libération, 8 février 2019.

« Comme si la liberté était paradoxalement advenue derrière les barreaux. « D’une certaine façon, c’est le meilleur endroit où il pouvait être. Tout le monde sait ce qu’il a fait, il n’a pas à dissimuler ». »
(Emmanuel Carrère, Libération, op.cit.)

Deux longs métrages ont été réalisés à partir de ce drame :

L'Emploi du temps (2001), réalisé par Laurent Cantet ; L'Adversaire (2002), réalisé par Nicole Garcia.

Une adaptation théâtrale a également été créée, sous le titre éponyme, par Frédéric Cherbœuf et Vincent Berger, au Théâtre des Quartiers d'Ivry, en 2016.

La photo de Jean-Claude Romand a été prise pendant son procès, en 1996, par Pascal Fayolle. Sipa.
















9,5/10 Emmanuel Carrère, Jean-Claude Romand, Nicole Garcia, Laurent Cantet, L'Adversaire, "L'Emploi du temps"