lundi 25 février 2019

UNE COLONIE / Film réalisé par Geneviève Dulude-De Celles

THÉÂTRE OUTREMONT, Montréal, le 25 février 2019

Une colonie, Québec, 2018, 143 minutes. R. et Sc. : Geneviève Dulude-De Celles. Prix Ours de cristal (Berlinade 2019), dans la section Generation Kplus, destinée à des films abordant des thèmes liés à la jeunesse.

« COLONIE. Ensemble des personnes originaires d'une même province, d'une même ville, qui habitent une autre région ou ville. [...] Groupe de personnes vivant en communauté. » (Le Nouveau Petit Robert, 1993)

Titre énigmatique, à première vue, qui renvoie à la fois à la cellule familiale de la jeune héroïne de douze ans, Mylia  (interprétée de façon attachante et troublante par Émilie Bierre), composée du père et de la mère (en voie de séparation), de la petite soeur Camille (là aussi jouée avec fantaisie et vérité par Irlande Côté) et d'une tante, Doudou, en opposition à l'institution scolaire (les étudiants du secondaire et, plus particulièrement, ceux de la classe de Mylia), mais aussi à l'opposition campagne / ville, communauté blanche / communauté autochtone. Chacun peut voir, dans ces oppositions, l'image d'une colonie à connaître, à apprivoiser, à intégrer ou à quitter...

Ce premier long métrage de fiction est une réussite sur tous les plans : scénarisation, réalisation, direction photo (Léna Mill-Reuillard et Étienne Roussy), montage (signé Stéphane Lafleur), jeu des jeunes comédiens. Pourtant, la glace était mince : scénario prévisible : récit initiatique, passage de l'enfance à l'adolescence, milieu scolaire turbulent et perturbant, découverte de la sexualité, racisme, etc. ; premier long métrage (scénarisé et réalisé par une jeune cinéaste) ; nombreux comédiens non professionnels.

Geneviève Dulude-De Celles a su éviter tous ces écueils en demeurant centrée sur le personnage de Mylia (elle aurait pu être la Vénus de Botticelli...), en jouant sur les nuances plutôt que sur la caricature. La jeune ingénue est plutôt bien accueillie et même prise en mains par les filles plus délurées de sa classe, Jimmy, le jeune Abénaki d'Odanak, n'est pas le souffre-douleur de la classe, mais s'exclut plutôt lui-même de cette communauté blanche, ignorante de la véritable histoire amérindienne. Mis à part une bagarre entre Jimmy et un autre élève, ni violence, ni harcèlement, ni drame majeur, mais la Vie, comme souvent elle se déroule, avec son flot d'émotions, de rires, de joie, de jeux, de silences, d'interrogations, d'amitiés, de colère et de tristesse.

L'attention portée aux jeunes acteurs est remarquable. Ils sont tous crédibles, attachants, en dépit de leurs comportements ados, mal dégrossis. Les rôles d'adultes, par contre, sont à peine esquissés. Ils servent surtout d'amorces, de tremplins permettant aux rôles principaux, tenus par Mylia, Jimmy et Camille, d'évoluer, de progresser.

Jouant sur le fil du rasoir, la réalisatrice réussit également à susciter des émotions fortes, proches de la terreur, conditionnés que nous sommes par la violence omniprésente : la scène où Mylia, saoule, devient une proie facile, celle où elle s'enferme dans une toilette avec Vincent, le beau gars sensé l'initier, le party d'Halloween, qui n'est pas sans évoquer Carrie de Brian De Palma.

« Une colonie dépeint avec une telle sincérité et une telle beauté la réalité de l'adolescence que le spectateur ne peut qu'être touché par son histoire, portant longtemps en lui le souvenir de ce film, bien au-delà de son visionnement. » (Catherine Lemieux Lefebvre, « Saisir cette jeunesse qui passe », Ciné-Bulles, vol. 37, no 1)

Je ne saurais mieux dire.

9/10 "Une colonie", Geneviève Dulude-De Celles, "Drame québécois", Adolescence