Asta. Où se réfugier quand aucun chemin ne mène hors du monde ?,
Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, [2017] 2018, 491 p.
Traduit de l’islandais par Éric Boury : Saga Àstu. Hvert fer madur ef pad er
engin leid ut ur heiminum ?
Si vous croyez que les auteurs et « autrices » islandaises baignent dans le roman noir et le polar, vous avez grandement raison. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas, comme le démontre ce grand roman d'amour qui couvre le vingtième siècle et qui décrit le passage d'une société agricole traditionnelle à une société moderne, profondément marquée par l'occupation militaire américaine lors de la Seconde Guerre mondiale.
L’auteur, né à Reykjavik en 1963, a publié son
premier roman en 1997, L'Été derrière la montagne. Entre 2010 et 2013, une trilogie romanesque : Entre ciel et terre, La Tristesse des anges et Le Cœur de l’homme. En France, son roman,
D’ailleurs les poissons n’ont pas de
pieds (Gallimard, 2015), a reçu le prix Millepages, a été élu Meilleur livre étranger 2015 Lire et a été finaliste du prix Médicis
étranger.
« Jon Kalman Stefansson enjambe les
époques et les pays pour nous raconter l’urgence autant que l’impossibilité
d’aimer. À travers l’histoire de Sigvaldi et d’Helga puis, une génération plus
tard, celle d’Asta et de Josef, il nous offre un superbe roman, lyrique et
charnel, sur des sentiments plus grands que nous, et des vies qui s’enlisent
malgré notre inlassable quête du bonheur. » (4e de couverture)
Des histoires d'amour, certes, ponctuées par six lettres d'Asta, mais avant tout une aventure littéraire hors du commun. L'auteur-narrateur, qui intervient fréquemment dans la trame du récit, utilise ses créatures comme des pions dans un jeu d'échecs, les déplace d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre, déstabilise le lecteur, l'obligeant à coller aux personnages, aux atmosphères, quitte à s'abandonner dans ses filets. N'ayez crainte, si l'auteur s'amuse à dérouter son lecteur, il ne l'abandonne pas pour autant, mais ce dernier doit s'attendre à être souvent dérouté, à faire confiance, quitte à ne pas tout saisir ni comprendre, mais l'illumination viendra...
« Il est impossible de raconter une
histoire sans s’égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et
reculer, non seulement une fois, mais au moins trois – car nous vivons en même
temps à toutes les époques. J’ai commencé par vous raconter l’histoire de Helga
et de Sigvaldi quand ils étaient jeunes, heureux et qu’ils avaient une table
massive et solide dans leur cuisine. Puis des choses sont arrivées. […]
Et maintenant, la fin approche. Parce
que tout ce qui a un jour commencé doit un jour finir – voilà pourquoi une des
cordes de la vie est tissée dans la mélancolie. Adieu, joli malheur ! » (p.
463)
MISCELLANÉES
« Peut-être que toute chose, qu’il
s’agisse de la vie, du temps ou de l’existence, est avant tout une question de
point de vue. » (p. 61)
« Parfois, certains jours, certains
soirs, certaines nuits, cet endroit est si beau qu’on dirait que Dieu s’apprête
à descendre sur terre pour sceller un pacte avec les hommes et les bêtes. » (p.
63)
« Et n’oublie pas, il est impossible de
vivre sans faire de bêtises, nous en faisons tous à un moment ou à un autre,
parfois, nous faisons souffrir ceux qui nous sont chers. Ce n’est pas à cela
qu’il faut nous juger, mais à la manière dont nous réparons le mal que nous
avons commis. Sois toi-même, et entièrement, il n’y a que comme ça qu’on peut
marcher la tête haute, quelle que soit la manière dont les choses finissent. »
(p. 109)
« La littérature devrait-elle donc avant
tout nous préparer à mourir plutôt que de nous aider à vivre ? » (p. 166)
« La mort ne comprend rien. C’est ce qui
la rend aussi impitoyable. » (p. 227)
« « Face au jour qui, véloce, décline,
les tourments t’enseigneront que les hommes connaissent amour, deuil, larmes et
douleur. » » (p. 317)
« Car le temps passe et la mort tient
toujours l’autre bout de la ligne. » (p. 352)
« […] celui qui ne peut pas travailler
ne saurait s’enfuir. » […] Car certains travaillent pour se fuir eux-mêmes. »
(p. 361)
« Se peut-il que, parfois, le bonheur
soit votre malheur ? » (p. 422)
« « J’avoue que ça m’a donné le vertige.
Toutes ces vies et ces destinées. Savoir que tant de choses sont advenues et,
dans une certaine mesure, tout près de moi, sans que j’en aie le moindre
soupçon. Penser à tous ces destins dont on ne sait rien, à ces histoires qu’on
ignore et dont on n’entendra peut-être jamais parler. J’ai l’impression que le
monde s’est agrandi d’un coup. » » (p. 438)