En
vieillissant les hommes pleurent, suivi de l’Imaginot
ou Essai sur un rêve du béton armé, Cergy-Pontoise, À vue d’œil
[Flammarion], 2012, 348 p. Grand Prix RTL – Lire 2012.
En
vieillissant les hommes pleurent : 299 p.
9
juillet 1961
En 24 heures, du lever du jour au lendemain matin, traversant
la matinée, l’après-midi, le soir et la nuit, un monde bascule, passant d’une société
paysanne à une société de consommation industrialisée, symbolisée par l’arrivée
du premier poste de télévision acquis par la famille Chassaing, dans un village
près de Clermont-Ferrand.
Ne te laisse pas arrêter par ce banal résumé, « Hypocrite lecteur, mon semblable,
mon frère !»
Dans ce roman bouleversant et émouvant, qui relie la Grande Histoire (la
Seconde Guerre mondiale, la Ligne Maginot), la colonisation française (la
guerre d’Algérie), le passage déchirant de l’adolescence à la maturité, la
puissance du désir féminin, l’amour filial (scène inoubliable, à fleur de peau,
d’Albert, le Père, mais aussi le Fils, qui doit laver sa vieille mère sénile),
l’amour paternel (celui d’Albert pour Gilles, son cadet) et l’amour maternel
(celui de Suzanne pour Henri, l’aîné), l’auteur réussit le tour de force de
condenser ce maelstrom d’événements, d’émotions et de remises en question dans un
univers à hauteur d’homme, à la fois proche de nous et éloigné dans le temps,
le tout sous l’éclairage éblouissant de la littérature qui embrasse passé et
présent, sous la lumière tutélaire d’Eugénie
Grandet de Balzac.
Ce passé et ce présent s’incarnent avec délicatesse et chaleur dans le
personnage de Monsieur Antoine, maître d’école à la retraite à qui Albert confiera
son fils Gilles, qui saura transmettre à ce dernier le passé pour mieux vivre
le présent.
« Les dates, si on y réfléchit bien, ne sont qu’une manière de donner
des noms au temps pour ne pas se perdre. » (p. 130)
« Gilles comprit
alors que chaque roman qu’il lirait l’aiderait à comprendre la vie, lui-même,
les siens, les autres, le monde, le passé et le présent, une expérience
similaire à celle de la peau ; et chaque événement de sa vie lui permettrait de
la même manière d’éclairer chacune de ses lectures. En découvrant cette
circulation continue entre la vie et les livres, il trouva la clé qui donnait
un sens à la littérature ; mais il eut, dans le même temps, le pressentiment,
après la vivacité de la conversation, l’avalanche des reproches, les
basculements de situations qu’il n’aurait jamais imaginés quelques minutes
auparavant, que la vie, comme les livres, était une source infinie de
rebondissements, d’imprévus, de choses secrètes enterrées sous les mots, que
rien n’était immuable et que tout se transformait sans cesse. » (p. 167-168)
« Jean-Luc Seigle signe un hymne à la vie qui porte les couleurs du
désespoir. Avec pudeur, il met des mots sur les silences, conscient, sans
doute, que les mutismes de l'Histoire tuent plus sûrement que les balles
ennemies. » (François Busnel, « Proche
de l'univers de Balzac, le dernier roman de Jean-Luc Seigle parle avec pudeur
et grâce du silence », L’Express, 22
février 2012)
Ne te laisse pas arrêter par ce titre rebutant, « Hypocrite lecteur, mon
semblable, mon frère !»
2011
Gilles Chassaing, professeur de Lettres modernes à l’université,
dans un exposé magistral sur la Ligne Maginot, clôt ce chapitre familial tout
en rappelant que « ce sont les hommes qui font l’histoire et non l’inverse
[Marx] » (p. 307) et en questionnant « le rapport du rôle de l’Histoire dans la
Littérature » (p. 308).