jeudi 23 avril 2020

EN VIEILLISSANT LES HOMMES PLEURENT / Jean-Luc Seigle


En vieillissant les hommes pleurent, suivi de l’Imaginot ou Essai sur un rêve du béton armé, Cergy-Pontoise, À vue d’œil [Flammarion], 2012, 348 p. Grand Prix RTL – Lire 2012.

En vieillissant les hommes pleurent : 299 p.

9 juillet 1961

En 24 heures, du lever du jour au lendemain matin, traversant la matinée, l’après-midi, le soir et la nuit, un monde bascule, passant d’une société paysanne à une société de consommation industrialisée, symbolisée par l’arrivée du premier poste de télévision acquis par la famille Chassaing, dans un village près de Clermont-Ferrand.

Ne te laisse pas arrêter par ce banal résumé, « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !»

Dans ce roman bouleversant et émouvant, qui relie la Grande Histoire (la Seconde Guerre mondiale, la Ligne Maginot), la colonisation française (la guerre d’Algérie), le passage déchirant de l’adolescence à la maturité, la puissance du désir féminin, l’amour filial (scène inoubliable, à fleur de peau, d’Albert, le Père, mais aussi le Fils, qui doit laver sa vieille mère sénile), l’amour paternel (celui d’Albert pour Gilles, son cadet) et l’amour maternel (celui de Suzanne pour Henri, l’aîné), l’auteur réussit le tour de force de condenser ce maelstrom d’événements, d’émotions et de remises en question dans un univers à hauteur d’homme, à la fois proche de nous et éloigné dans le temps, le tout sous l’éclairage éblouissant de la littérature qui embrasse passé et présent, sous la lumière tutélaire d’Eugénie Grandet de Balzac.

Ce passé et ce présent s’incarnent avec délicatesse et chaleur dans le personnage de Monsieur Antoine, maître d’école à la retraite à qui Albert confiera son fils Gilles, qui saura transmettre à ce dernier le passé pour mieux vivre le présent.

« Les dates, si on y réfléchit bien, ne sont qu’une manière de donner des noms au temps pour ne pas se perdre. » (p. 130)

 « Gilles comprit alors que chaque roman qu’il lirait l’aiderait à comprendre la vie, lui-même, les siens, les autres, le monde, le passé et le présent, une expérience similaire à celle de la peau ; et chaque événement de sa vie lui permettrait de la même manière d’éclairer chacune de ses lectures. En découvrant cette circulation continue entre la vie et les livres, il trouva la clé qui donnait un sens à la littérature ; mais il eut, dans le même temps, le pressentiment, après la vivacité de la conversation, l’avalanche des reproches, les basculements de situations qu’il n’aurait jamais imaginés quelques minutes auparavant, que la vie, comme les livres, était une source infinie de rebondissements, d’imprévus, de choses secrètes enterrées sous les mots, que rien n’était immuable et que tout se transformait sans cesse. » (p. 167-168)

« Jean-Luc Seigle signe un hymne à la vie qui porte les couleurs du désespoir. Avec pudeur, il met des mots sur les silences, conscient, sans doute, que les mutismes de l'Histoire tuent plus sûrement que les balles ennemies. » (François Busnel, « Proche de l'univers de Balzac, le dernier roman de Jean-Luc Seigle parle avec pudeur et grâce du silence », L’Express, 22 février 2012)

L’Imaginot ou Essai sur un rêve du béton armé : p. 301-345.

Ne te laisse pas arrêter par ce titre rebutant, « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !»

2011

Gilles Chassaing, professeur de Lettres modernes à l’université, dans un exposé magistral sur la Ligne Maginot, clôt ce chapitre familial tout en rappelant que « ce sont les hommes qui font l’histoire et non l’inverse [Marx] » (p. 307) et en questionnant « le rapport du rôle de l’Histoire dans la Littérature » (p. 308).

9,5/10 Jean-Luc Seigle, ʺLigne Maginotʺ, ʺEugénie Grandetʺ, Honoré de Balzac,