
La LNI s'attaque aux classiques [Carlo Goldoni], Ligue Nationale d'improvisation (LNI), avec François-Étienne Paré, metteur en scène et animateur, Alexandre Cadieux, conseiller dramaturgique, Réal Bossé, Salomé Corbo et Florence Longpré, comédiens-improvisateurs.
Dans cette deuxième édition, la LNI s'attaque à onze nouveaux auteurs classiques, étrangers et québécois, en autant de soirées consacrées à chacun d'eux : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, Carlo Goldoni, Suzanne Lebeau, Tennessee Williams, Georges Feydeau, Évelyne de la Chenelière, Jean Racine, Marcel Dubé, Réjean Ducharme, Robert Lepage, Luc Plamondon.
Il y a très longtemps que je n'avais mis les pieds à la LNI, bien que j'y fus autrefois assistant-arbitre et arbitre, ainsi que membre de la Cellule Protocolaire, de 1977 à 1988. Je dois dire que, lors de la soirée consacrée à Goldoni, j'ai pris un très grand plaisir à retrouver l'improvisation sous un jour nouveau, et non pas traitée comme une rencontre sportive...
Une aire de jeu rectangulaire, des spectateurs qui se font face sur deux côtés, des costumes et tissus uniquement rouges (pour toute la durée des onze spectacles), des bouteilles d'eau, trois cubes, des masques italiens.
La soirée est divisée en deux parties d'inégale longueur, séparées par un court entracte. La première, d'une durée de soixante minutes, strictement minutée par une horloge murale, est animée par MM. Paré et Cadieux qui, à tour de rôle, présentent l'auteur dramatique, son oeuvre, son époque, commentaires et explications qui sont illustrés au fur et à mesure par les improvisateurs, selon les indications scéniques et les contraintes données par nos deux compères. Cette partie, qui aurait pu tomber dans un lourd didactisme, se révèle, au contraire, pétillante, pleine de surprises, sans doute la plus intéressante des deux parties. La deuxième consiste en une improvisation libre de trente minutes, « à la manière de... ». Mais reprenons...
Carlo Goldoni, né à Venise en 1707 et mort à Paris en1793, avec plus de 200 pièces à son actif, est considéré comme le rénovateur de la comédie italienne, de la commedia dell'arte. S'inspirant en premier lieu des recettes et techniques propres à cette comédie (jeu avec les masques traditionnels, jeu corporel, jeu comique, grossier et dialectal, etc.), Goldoni la transformera au fil du temps par l'abandon des masques et un raffinement du contenu, accordant une importance primordiale aux personnages féminins. Il réussira « [...] à imposer aux acteurs le « jeu prémédité », le respect du texte et de l'auteur ». (Encyclopaedia Universalis)
Dans un premier temps, pour faire revivre cette évolution, les improvisateurs, chacun son tour, personnifient les principaux personnages de la commedia dell'arte : Pantalone (vautour), Il Dottore (paon), Arlechino (singe et chat), avec les masques correspondants. Ensuite, sans masque, Il Capitan (coq), Colombina (« personnage qui a oublié d'être sotte...»). S'ensuit une courte série de scènes : la mouche, le cube, le costume, le muscat, où les lazzi (plaisanteries burlesques, jeux d'esprit, jeux de mots, jeux grotesques, grimaces) sont exploités pour le plus grand plaisir des spectateurs, le tout se terminant par une série de cinq saynètes hilarantes mettant aux prises Arlequin et Pantalone, Arlequin et une femme pour laquelle il brûle de désir, un mari et un ami, ivres et disgracieux, qui se font vertement rabrouer par la femme du mari, une mère aux prises avec deux enfants insupportables et, finalement, une place publique animée, Il Campiello.
Après l'entracte, l'improvisation de trente minutes reprend des thèmes proches de la Trilogie de la villégiature, quelque peu abordés dans la première partie : l'opposition ville-campagne, hommes-femmes, aristocrates-petits bourgeois, etc.
Cette nouvelle approche de l'improvisation théâtrale, vue comme un laboratoire, m'apparaît nettement plus riche et stimulante, pour les comédiens, que l'approche traditionnelle. Plutôt que d'improviser dans la confrontation et l'opposition, ici, le respect, l'écoute mutuelle, l'entraide, la solidarité, la connaissance de l'oeuvre et de l'auteur, l'absence manifeste d'angoisse et de stress, tout concourt à décupler le plaisir des improvisateurs et, par conséquent, celui du spectateur. Et quels improvisateurs ! Avec une grande maîtrise corporelle, exploitant le mime, une indéniable aptitude pour les réparties vives et surprenantes, n'hésitant pas à franchir au besoin les bornes de la bienséance, ils font merveille. Bravo !
Cette approche ludique des classiques devrait être utilisée dans l'enseignement du théâtre au secondaire et au collégial. D'ailleurs, elle pourrait être étendue non seulement aux classiques mais aussi à l'étude des dramaturgies nationales. Ainsi, l'an prochain, pour la troisième édition, pourquoi la LNI ne s'attaquerait-elle pas à la dramaturgie allemande, ou russe, ou espagnole ?
Je crois bien que Robert Gravel, cofondateur de la LNI, aurait apprécié, tout comme il se serait réjoui, avec un brin d'ironie, de la reconnaissance tardive, par l'Assemblée nationale du Québec, de l'improvisation théâtrale comme discipline à part entière !
Les représentations se poursuivent jusqu'au 21 décembre 2016. À ne pas manquer !
9/10
Mots clés : LNI, "Ligue Nationale d'Improvisation", Carlo Goldoni, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, Suzanne Lebeau, Tennessee Williams, Georges Feydeau, Évelyne de la Chenelière, Jean Racine, Marcel Dubé, Réjean Ducharme, Robert Lepage, Luc Plamondon, François-Étienne Paré, Alexandre Cadieux, Réal Bossé, Salomé Corbo, Florence Longpré, "Commedia dell'arte", Improvisation