
Né en 1955, Hervé Guibert traverse l'univers culturel français tel une étoile filante. Écrivain, scénariste, journaliste, photographe, proche de créateurs tels Michel Foucault, Patrice Chéreau, Sophie Calle, il est l'auteur, notamment, de l'Homme blessé, César du meilleur scénario du film réalisé par Patrice Chéreau en 1984, À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, roman dans lequel il révèle sa séropositivité, le Protocole compassionnel, roman autobiographique. Il décède à l'âge de 36 ans, le 27 décembre 1991, à la suite d'une tentative de suicide.
Figures fantomatiques, Suzanne et Louise, grands-tantes d'Hervé Guibert (les soeurs de sa grand-mère maternelle) « [...] réapparaissent régulièrement dans [son] oeuvre [...]. D'abord dans ses photographies, comme en témoignent les nouveaux portraits qui figurent dans l'exposition de 1984 à la Galerie Agathe Gaillard, intitulée « Le seul visage ». Ensuite dans un roman, en 1988, dont elles sont les personnages principaux : Les gangsters, publié aux Éditions de Minuit. Puis encore dans son unique film, La pudeur ou l'impudeur (1991), qui comporte plusieurs séquences avec ses grands-tantes où il dialogue avec elles. Il les évoque enfin régulièrement dans son journal, Le mausolée des amants (publié de façon posthume en 2001). » (Thomas Simonnet, « La fabrique de Suzanne et Louise ».)
Ce roman-photo, publié en 1980, juxtapose de nombreuses photos en noir et blanc, principalement des gros plans des deux soeurs, accompagnées de textes plus ou moins longs, en écriture manuscrite. Suzanne, la plus âgée, riche veuve d'un pharmacien, et Louise, ex-carmélite, qui lui sert de bonne, « humble et tyrannique », vivent, recluses, dans un hôtel particulier du XVe arrondissement, sous la garde d'un berger allemand. Impossible de ne pas songer aux Bonnes de Jean Genet, Suzanne personnifiant et Madame et l'une des bonnes..., mutatis mutandis. « Ce pourrait être un lieu pour le crime, mais tout ne se jouera qu'en simulacre. » (Hervé Guibert, « Prologue. »)
Présenté ou annoté comme une pièce de théâtre, sans dialogues, alternant de courts textes et des passages plus longs, surtitrés : Prologue, La pièce, La mise en scène, Le vernissage, Le scénario, cet ovni littéraire et photographique se lit d'une traite, suscitant plein d'interrogations, mêlant habilement réalité et fiction. Je retiens particulièrement les textes portant sur le Carmel, La mort du chien, Amok, La lettre, Le cadavre, pour le parfum délétère et morbide qui s'en dégage.
Conçu au départ pour être un film, devant le refus de ses grands-tantes, Guibert écrit alors une pièce, Louise et Suzanne [sic], qu'il lit au Gueuloir à Avignon, en 1977. Il en fait enregistrer une lecture par Michael Lonsdale et Michel Foucault. « La pièce ne sera jamais montée. »
Revenant à son projet initial de film, il les photographie tous les dimanches. Après quelques mois, il leur présente quelques photos. « Elles consentent désormais à son projet et, tous les samedis, il dépose dans leur boîte aux lettres « un petit récit qui était le scénario de la séance que j'imaginais le lendemain » et revient les photographier le dimanche. » (Thomas Simonnet, ibid.)
« En 1979, Hervé Guibert expose les photos de ses grands-tantes à la Remise du Parc à Paris, avec celles des cires du musée Grévin.
[...]
C'est seulement après cette exposition qu'Hervé Guibert cherche à publier un « roman-photo » autour de Suzanne et Louise. Pour le texte, il puise dans son scénario, sa pièce et les notes qu'il a prises dans son Journal après chaque séance de travail avec ses grands-tantes [...]. » (Idem, ibid.)
À la parution du livre, en avril 1980, succédera, en mai, l'exposition des photos du livre, pendant trois semaines, à la Galerie Agathe Gaillard, galerie consacrée exclusivement à la photographie.
« à Hervé notre très cher " petit-neveu ", en admiration
pour avoir tiré de notre obscurité ce livre trop brillant
pour notre modestie. »
Dédicace de Suzanne [décédée à 95 ans, le 16
janvier 1991, Louise quelques années plus tard]
9/10 Hervé Guibert, "Suzanne et Louise", "Roman-photo", Autobiographie, Photographie, Mémoires