dimanche 5 janvier 2020

PHORA : SUR MA PRATIQUE DE PSY / Nicolas Lévesque

Phora : Sur ma pratique de psy, Montréal, Varia, coll. « Proses de combat », 2019, 195 p.

Ayant « découvert » Nicolas Lévesque, qui animait le lancement de deux ouvrages à la Librairie Gallimard, dont le sien, intrigué par son écoute et une certaine retenue (ou timidité ?), j'ai acheté son essai, pour mon plus grand bonheur.

Phora, du grec ancien « phoros » (porteur), signifie « l'action de porter [...], ce que nous portons comme un enfant, et la douleur, ce que nous portons comme un fardeau. » (4e de couverture)

Divisé en dix sections : Perdre sa plume ; Témoigner de l'intime ; Porter la charge ; Apprendre l'alphabet ; Sculpter sa pratique ; Donner la parole ; Vivre à l'infinitif ; Soigner le politique ; Chercher l'ombre ; Habiter l'époque, cet ouvrage n'a rien d'un pensum sur la psychanalyse mais, tout au contraire, d'un véritable « essai fictionnel », écrit par un auteur-éditeur qui a déjà huit titres à son actif. (Les soulignés sont miens et correspondent aux sections qui m'ont davantage intéressé.)


« Pendant un mois, j'ai noté dans un petit carnet des choses qui pouvaient passer de ma pratique de psy à ma pratique d'écriture. [...] Il s'agit d'un prélèvement. Puis d'une création sur une autre scène, celle de l'écriture. Et dans ce transfert entre les scènes, dans ce changement de langage, cette épreuve de traduction, tout se perd et se réinvente, méconnaissable. C'est la beauté et le deuil, propre à toute création. » (p. 14)

Témoin de la parole souffrante, l'auteur analyse finement la psyché humaine dans ses différents sentiers, aussi bien psychologique que sociologique et politique, dans une langue souveraine, dénuée de toute fioriture, de tout jargon. N'hésitant pas à se mettre en scène, il dévoile à son tour ses doutes, interrogations, remises en question.

Psychanalyse dans un fauteuil ? Plutôt, une lecture passionnante sur la vie intime, débordant dans l'espace public.

 « La psychanalyse, ce n'est pas, malgré ce que l'on croit, tout raconter de son enfance et de ses rêves à un analyste silencieux. La psychanalyse, c'est aller à suffisamment de séances avec un analyste suffisamment bon pour que survienne le sentiment que l'on pourrait tout lui dire, tout lui raconter. Parvenir à ce sentiment de pouvoir tout dire, cela vaut mille mots, cela vaut tous les récits d'enfance et de rêves. Le contenu de la mémoire demeure bien sûr important, mais moins que ce sentiment d'abandon en présence de l'autre, qui ne représente plus tant une écoute bionique que le divan lui-même, c'est-à-dire la surface sur laquelle le psychisme s'étend, se détend, ce qui permet ensuite la réparation et la transformation nécessaires. Si l'on a parlé de troisième oreille, j'évoquerais plutôt le deuxième divan. Invisible. Celui sur lequel déposer son psychisme. Il est possible d'y arriver en face à face, peu importe, pourvu que l'on parvienne au divan psychique. [...] » (p. 104-105)

« Il y a donc idéalement quatre éléments en présence, à ressentir simultanément, pour qui veut porter une sorte de ceinture noire de la psychologie humaine : se mettre à la place de l'autre, être en contact avec sa propre souffrance, savoir respecter ce qui échappe nécessairement, en l'autre, à tous les savoirs et les pouvoirs, puis finalement consentir à ne pas tenter de s'approprier ce qui m'échappera toujours dans ma propre expérience. » (p. 142)

N'est-ce pas là le credo que tout être humain devrait adopter dans sa propre existence, et pour celle des autres ?

9/10 Phora, Psychanalyse, Essai, Nicolas Lévesque