L’Amie prodigieuse, Enfance, Adolescence, Paris, Gallimard,
coll. « Folio », no 6052, [2011] 2014, 431 p. Traduit de l’italien
par Elsa Damien : L’Amica geniale.
Prologue : Effacer les traces ; Enfance : Histoire de Don Achille ; Adolescence : Histoire des chaussures.
Raffaella Cerullo, appelée Lina ou Lila, Elena
Greco, appelée Lenuccia ou Lenù, héroïnes de la saga en quatre tomes écrite par
Elena Ferrante naissent toutes deux à Naples (Italie), en 1944. Pendant
plus d’une soixantaine d’années, le lecteur suivra leur évolution et leur destinée,
entremêlée inextricablement à celles de leur quartier, de l’Italie et de l’Histoire
des femmes, en butte et en révolte contre l’ordre patriarcal, destinées qui
traverseront un monde en ébullition, sur les plans politique, économique et
social.
Dans ce premier tome, à la fin des années
cinquante, dans un quartier pauvre de Naples, nous verrons Lila abandonner l’école
pour travailler dans l’échoppe de cordonnier de son père, alors qu’Elena ira au
collège puis au lycée.
« Je ne suis pas nostalgique de notre enfance :
elle était pleine de violence. C’était la vie, un point c’est tout : et
nous grandissions avec l’obligation de la rendre difficile aux autres avant que
les autres ne nous la rendent difficile. »
Le lecteur qui aura traversé la centaine de
pages qui composent l’enfance (la partie la plus laborieuse à lire) aura le
bonheur de parcourir ensuite, aisément, les chemins de l’adolescence, de la
jeunesse, de la maturité et de la vieillesse.
Une saga inoubliable !
Le Nouveau Nom, l’Amie prodigieuse – II,
Jeunesse,
Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », [2012] 2016, 554 p. Traduit
de l’italien par Elsa Damien : Storia
del nuovo cognome (L’Amica geniale, volume secundo).
Naples, années soixante.
« Le soir de son mariage, Lila comprend que
son mari Stefano [Carracci] l’a trahie en s’associant aux frères Solara, les
camorristes qui règnent sur le quartier et qu’elle déteste depuis son plus
jeune âge. Pour Lila Cerullo, née pauvre et devenue riche en épousant l’épicier,
c’est le début d’une période trouble […]. De son côté, son amie Elena Greco, la
narratrice, poursuit ses études au lycée et est éperdument amoureuse de Nino
Sarratore, qu’elle connaît depuis l’enfance et qui fréquente à présent l’université.
Quand l’été arrive, les deux amies partent pour Ischia […]. (4e de
couverture)
Celle qui fuit et celle qui reste, Époque intermédiaire, l’Amie prodigieuse – III, Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », [2013] 2017, 480 p. Traduit de l’italien par Elsa Damien : Storia di chi fugge e di chi resta (L’Amica geniale, volume terzo).
« Nous sommes à la fin des années soixante,
les événements de 1968 s’annoncent, les mouvements féministes et protestataires
s’organisent, et Elena, diplômée de l’École normale de Pise et entourée d’universitaires,
est au premier rang. Même si les choix de Lila sont radicalement différents,
les deux jeunes femmes sont toujours aussi proches, une relation faite d’amour
et de haine, telles deux sœurs qui se
ressembleraient trop. Et, une nouvelle fois, les circonstances vont les
rapprocher, puis les éloigner, au cours de cette tumultueuse traversée des
années soixante-dix. » (4e de couverture)
Avec les tomes trois et quatre, nous pénétrons
dans le cœur palpitant de cette saga, confrontés au destin douloureux et déchirant
de ces deux femmes qui, en dépit des obstacles, tant familiaux qu’amoureux,
poursuivent inexorablement leur route.
« Et en effet, j’avais décampé. Mais
seulement pour découvrir, dans les décennies suivantes, que je m’étais trompée,
et qu’en réalité nous étions prises dans une chaîne dont les anneaux étaient de
plus en plus grands : le quartier renvoyait à la ville, la ville à l’Italie,
l’Italie à l’Europe, et l’Europe à toute la planète. Et aujourd’hui, c’est
ainsi que je vois les choses : ce n’est pas notre quartier qui est malade,
ce n’est pas Naples, c’est le globe terrestre tout entier, c’est l’Univers, ce
sont les univers ! Le seul talent consiste à cacher et à se cacher le véritable
état des choses. » (p. 23)
« Je sentais que dans mon livre, mais aussi
dans les romans en général, il y avait quelque chose qui me remuait vraiment,
un cœur palpitant mis à nu, le même qui avait failli faire exploser ma poitrine
à l’instant, désormais si lointain, où Lila m’avait proposé d’écrire une
histoire avec elle. Finalement, c’était moi qui l’avais écrite pour de vrai.
Mais était-ce ce que je voulais ? Écrire, écrire mais pas par hasard, et écrire
mieux que je ne l’avais encore fait ? Étudier les récits du passé et du présent
pour comprendre comment ils fonctionnaient et puis apprendre, apprendre tout du
monde, avec pour seul objectif d’inventer des cœurs incroyablement vivants, que
personne n’aurait su créer mieux que moi, pas même Lila si elle en avait eu la
possibilité ? » (p. 53)
L’Enfant perdue, Maturité, Vieillesse, l’Amie
prodigieuse – IV,
Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », [2014] 2018, 551 p. Traduit de l’italien
par Elsa Damien : Storia della
bambina perduta (L’Amica geniale, volume quarto).
Maturité : L’Enfant perdue ; Vieillesse : Mauvais sang ; Épilogue : Restitution.
« À la fin de Celle qui fuit et celle qui reste, Lila montait son entreprise d’informatique
avec Enzo [Scanno], et Elena réalisait enfin son rêve : aimer Nino et être
aimée de lui, quitte à abandonner son mari et à mettre en danger sa carrière d’écrivain.
Car elle s’affirme comme une auteure importante et l’écriture l’occupe de plus
en plus, au détriment de l’éducation de ses deux filles, Dede et Elsa. » (4e
de couverture)
« J’expliquai que j’avais toujours cherché à
m’imposer grâce à une intelligence masculine – « je me suis sentie inventée par
les hommes et colonisée par leur imagination », ainsi commençais-je chaque soir
–, et je racontai que j’avais récemment vu un de mes amis d’enfance s’efforcer
par tous les moyens de subvertir sa nature en extirpant la fille qui était en
lui.
[…]
Voilà, me disais-je, le couple cède, la
famille cède, l’ensemble des carcans culturels cède, toute possibilité d’accommodement
social-démocrate cède, et en même temps chaque chose essaie de prendre
violemment une autre forme, jusqu’alors impensable : Nino et moi, mes
enfants additionnées aux siens, l’hégémonie de la classe ouvrière, le
socialisme et le communisme, et surtout le sujet imprévu, la femme, moi ! » (p.
57)
« J’avais beau désormais écrire et parler de
l’autonomie féminine en long et en large, je ne pouvais me passer de son corps,
de sa voix et de son intelligence. Me l’avouer fut chose terrible, pourtant je
continuais à le vouloir, je l’aimais même plus que mes filles. À l’idée de lui
nuire et de ne plus le revoir, c’était comme si je me fanais d’un coup et dans
la douleur : la femme libre et cultivée perdait ses pétales, se détachant
de la femme-mère, la femme-mère prenait ses distances avec la femme-maîtresse
et la femme-maîtresse avec la mégère enragée, et toutes semblaient sur le point
de partir au gré du vent. Plus Milan approchait, plus je réalisais que, Lila
écartée, je ne savais pas me donner de consistance, si ce n’est en me modelant
sur Nino. J’étais incapable d’être mon
propre modèle. Sans Nino, je n’avais plus de base à partir de laquelle, depuis
le quartier, me projeter vers le monde : je n’étais qu’un tas de détritus.
» (p. 108)
« Anarchiste, marxiste, gramscien,
communiste, léniniste, trotskiste, maoïste ou ouvriériste devenaient rapidement
des étiquettes dépassées ou, pire, des signes de brutalité. L’exploitation de l’homme
par l’homme et la logique du profit maximal, qui par le passé avaient été vues
comme des abominations, étaient redevenues partout la clef de voûte de la
liberté et de la démocratie. » (p. 492)
« Y a que dans les mauvais romans que les
gens pensent et disent toujours ce qu’il faut, dans ces livres-là, chaque effet
a une cause, il y a les gentils et les méchants, et à la fin le lecteur est
consolé. » (p. 522)
« J’avais suivi mon époque pas à pas,
inventant des histoires et réfléchissant. J’avais mis l’accent sur certains
maux, que j’avais choisi de mettre en scène. J’avais envisagé je ne sais
combien de fois des changements salvateurs qui ne s’étaient jamais réalisés. J’avais
utilisé la langue de tous les jours pour évoquer des choses de tous les jours.
J’avais insisté sur certains thèmes : le travail, les conflits de classe,
le féminisme, les marginaux. » (p. 531)
« Mais je n’étais plus cet être à peine âgé
de quelques années qui découvrait les extraordinaires qualités de sa camarade
de classe. Maintenant j’étais une femme mûre, avec un profil professionnel
solide. J’étais ce que Lila elle-même avait souvent répété, tantôt par
plaisanterie, tantôt sérieusement : Elena Greco, l’amie prodigieuse de
Raffaella Cerullo. » (p. 533)
Une saga inoubliable, certes, mais qui ne se
laisse pas appréhender facilement, qu’il faut prendre à bras le corps, à lire en
continu, compte tenu des nombreuses familles et des nombreux personnages qui
peuplent ce Teatrum Mundi, du travail
remarquable sur le temps, le passé et la mémoire, sans négliger l’impact
émotionnel sur le lecteur, plongé dans un monde incohérent, trompeur, violent,
mais non dénué d’amour.
9,5/10 Elena Ferrante, L’Amie
prodigieuse, Le Nouveau Nom, Celle qui reste et celle qui fuit, L’Enfant perdue,
Saga italienne, Naples, Féminisme, Roman social, Roman politique