vendredi 16 octobre 2020

À TRAIN PERDU / Jocelyne Saucier

 

À train perdu
, Montréal, les Éditions XYZ, coll. « Romanichels », 2020, 257 p.

Chronique romanesque, enquête sur l’errance de Gladys Comeau, septuagénaire, veuve et mère de Lisana, quinquagénaire aux prises avec de graves problèmes de santé mentale.

Gladys, « [u]ne femme qui disparaît de sa [propre] vie » (p. 12), quitte Swastika le 24 septembre 2012, une bourgade ontarienne de deux cents habitants, pour voyager sur les rails du nord de l’Ontario et du Québec.

Cette « […] histoire qui fuit de partout » (p. 12) est racontée par un narrateur anonyme,  fils de cheminot et professeur d’anglais, qui, après quatre années d’enquêtes, reconstituera le parcours de cette « échappée déambulatoire » (p. 104), de cette « […] vie au fond des bois comme un conte de fées » (p. 90).

Le lecteur reconnaîtra, ici, l’univers familier du roman précédent de Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux, publié en 2011, qui a connu un succès international, couronné de neuf prix, et qui a été adapté au cinéma par Louise Archambault, en 2019, cet univers de « […] vieux enfants de la forêt emmêlés dans leurs souvenirs » (p. 91).

Dans ce récit de la vie de Gladys, pour « […] retourner au pays de son enfance » (p. 54), les school trains prennent une place considérable. Gladys est née et a vécu pendant seize ans (son père, William Campbell, y enseignant et y logeant) dans l’une de ces voitures-école.

« De 1926 à 1967, sept school trains ont sillonné le nord de l’Ontario pour aller porter l’alphabet, le calcul mental et les capitales d’Europe aux enfants de la forêt. Sept school cars, sept school on wheels, comme on les a aussi appelés et qu’on pourrait traduire par voitures-école. Aménagées en salles de classe (pupitres d’écoliers, tribune du maître, tableaux noirs, bibliothèque, tout pour accueillir douze élèves et leur enseignant), ces voitures étaient ni plus ni moins des écoles ambulantes. Un train de marchandises tractait la voiture sur une vingtaine de kilomètres, la laissait sur une voie d’évitement, en pleine forêt, d’où surgissait un groupe d’enfants qui pendant quelques jours allaient apprendre à lire, écrire, compter, un peu d’histoire et de géographie, jusqu’à ce qu’un autre train vienne reprendre la voiture et l’entraîne vingt kilomètres plus loin où d’autres enfants l’attendaient. L’école ambulante faisait cinq, six, sept arrêts le long d’une ligne de cent, deux cents kilomètres et revenait un mois plus tard aux enfants du premier arrêt qui l’avaient attendue tout ce temps avec devoirs et leçons. Ces arrêts correspondaient aux minuscules hameaux où vivaient les cantonniers chargés de l’entretien de la voie ferrée et de l’approvisionnement des trains en eau et en charbon (nous sommes à l’époque des locomotives à vapeur). C’est ainsi qu’ont pu être scolarisés non seulement les enfants des cantonniers mais aussi tous ceux qui vivaient dans la forêt environnante, enfants des prospecteurs, des forestiers, des trappeurs, des autochtones, des garde-feux. Petits sauvageons des bois qui à leur première journée d’école n’avaient pour la plupart jamais ouvert un livre et ne connaissaient pas un mot d’anglais car fils et filles d’immigrants ou Cris ou Ojibways. » (p. 66-67)

La vie de Gladys et celle du rail se croisent et s’entremêlent au point de ne faire qu’une : « « Le rail était toute notre vie », […] la phrase vient clore ou amorcer une histoire et je comprends que le rail était la ligne de vie des hameaux forestiers, leur seul lien avec le monde. » (p. 93)

Se greffe aussi à cette histoire celle de Léonard Mostin, écrivain français du 6e arrondissement parisien, en panne d’écriture, qui décide de traverser l’Atlantique afin de comprendre pourquoi ce patelin, Swastika, « […] avait « l’impudence-l’inconscience-l’arrogance » de s’afficher sous ce nom et, encore plus impudent-inconscient-arrogant, s’était battu pour le conserver. » (p.38) Ce trop court épisode, qui aurait pu à lui seul donner naissance à une autre chronique, laisse le lecteur sur sa faim, un si beau personnage lui ayant été « apprêté »…

Si j’ai été captivé par le récit même de la vie et des parcours et détours de Gladys, intimement liés à la vie du rail, par ses nombreuses rencontres et amitiés, je dois dire que je suis resté imperméable à la fiction du narrateur, qui occupe beaucoup d’espace tout au long du récit, particulièrement au début et à la fin, un peu comme s’il était de trop dans cette histoire… Sachant que l’auteure elle-même avait découvert son sujet en sillonnant les rares lignes ferroviaires encore existantes, je n’ai pas cru en l’existence de ce narrateur masculin. Les liens entre la narration et la fiction mettant en scène Gladys me sont apparus mal tissés, l’écriture fictionnelle se révélant plus captivante que l’écriture narrative.

8/10 Jocelyne Saucier, “Roman Québécois”, “Récit nordique”, “Nord de l’Ontario”, “Nord du Québec”, “Histoire du rail”, Trains, “School Trains”, Swastika, Nordicité