jeudi 12 mars 2020

JEAN DANIEL - 1920-2020 - HOMMAGE




 

Jean Daniel Bensaïd, né le 21 juillet 1920 à Blida (Algérie), dernier de onze enfants, est élevé dans une famille algérienne de confession juive. Se situant dans le courant de la gauche non communiste, en 1947, il fonde une revue culturelle, Caliban, est engagé à L’Express pour couvrir les « événements » d’Algérie, avant de reprendre, en 1964, avec l’industriel Claude Perdriel, France Observateur, pour en faire Le Nouvel Observateur, hebdomadaire de la « deuxième gauche », qu’il dirigera jusqu’en 2008, tout en continuant d’y écrire jusqu’en 2019.

Écrivain et essayiste, il est l’auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, dont les Œuvres autobiographiques (cinq volumes) ont été réunies, en 2002, en un seul volume de 1 700 pages.

(Informations tirées d’un article de Libération, publié dans Le Devoir, 2020-02-21, p. B 4 : Georges Bendrihem, « 1920-2020 Un monument du journalisme s’effondre. Pilier de la presse française et fondateur du Nouvel Observateur, Jean Daniel est mort à 99 ans ».)



« Dédicace » par Jean Daniel, texte publié dans Le Nouvel Observateur, no 1769, 1998-10-01, p. 58.

« J’écris pour ceux qui, survivants des génocides et des fanatismes, miraculés de la misère et de l’humiliation, des cancers et du sida, des pensées uniques et des pensées politiquement correctes, tous ceux qui, après avoir échappé à la démence des victimes devenues bourreaux et inversement, arrivent encore, incurablement et malgré tout, déraisonnablement et quoi qu’il en soit, à se lever le matin, à vivre jusqu’au soir sans illusion ni démission, visités par on ne sait quelle grâce dérisoire, sensibles aux riens, curieux de tout, remplissant l'instant de confiance, mais vidant le temps de tout espoir, et qui parviennent encore à être bouleversés par la gravité d’un enfant, l’innocente confiance d’un regard, la tendre et protectrice indulgence d’un vieillard, la noblesse d’un geste et la beauté d’un corps qui, à l’aube, nage d’une rive à l’autre dans le grand silence de la baie primitive. « L’existence de la mort nous oblige soit à renoncer volontairement à la vie, soit à transformer notre vie de manière à lui donner un sens que la mort ne peut lui ravir. » Je me sens en vraie communauté avec tous les hommes de ce siècle qui ont tenté de faire de cette réflexion de Tolstoï leur credo ou leur idéal.

Qu’est-ce que la mort ne peut ravir ? Un sens ou une intensité ? Comment s’accommoder de notre redoutable désir d’être heureux ?

J’écris pour tous les jeunes gens qui, lucides et insoumis, téméraires et fraternels, se croient capables de regarder en face le soleil et la mort, pour ceux qui, inquiets dans l’incroyance, chérissent encore la passion du beau, de la création et conservent tout de même le respect du mystère, le sens du sacré. Pour ceux enfin qui, menacés par l’isolement, la dépendance et le caprice des autres, sont les moins vieux nulle part après avoir été les plus jeunes partout, et veulent trouver ailleurs que dans la mort le secret du refus de vieillir. »

Ce texte ouvre les Carnets de Jean Daniel, « Avec le temps ».



Cher Jean Daniel, que je crois connaître depuis si longtemps par la lecture de vos éditoriaux dans Le Nouvel Observateur et de vos carnets, je n’écris aujourd’hui que pour vous rendre hommage, que pour vous signifier mon affection et mon admiration d’être resté le jeune homme émerveillé par la vie, le plaisir, l’hédonisme, d’avoir été là, près de Camus, d’avoir vécu en France tout en demeurant algérien, d’avoir toujours su garder une distance face aux êtres et aux événements, petits ou grands, qu’il s’agisse de Mitterrand, figure fascinante du Prince, ou des petites gens, des laissés pour compte.


« L’histoire de tous, de chacun, toujours recommencée : marcher, marcher jour après jour sur la Terre, défier la pesanteur et l’immobilité, arpenter les chemins du temps, du réel, du rêve, scruter la nuit et la lumière, prêter l’oreille aux dits du vent, aux paroles des autres, au son du chant de la terre, aux clameurs de l’Histoire, au bruit confus de son propre sang charriant tant de mystères, d’échos et de questions. »

Sylvie Germain, Éclats de sel.


Marcher, marcher, marcher, toujours, sans connaître le but, le lieu du repos, tenter de capter la lumière de la fin du jour, le souffle caressant et violent du vent, la morsure du froid et la moiteur de la poussière, se réapproprier le lot de tous ces voyageurs qui ont laissé en héritage leurs découvertes et leurs désillusions.


« Dottore, comment va ? Ni bien, ni mal, on fait aller. »

Andrea Camilleri, le Champ du potier, p. 254.


À lire : le Cahier spécial de 48 p., illustré, de l'édition no 2886 de L'Obs, du 27 février 2020 : « Notre Jean Daniel ».



Œuvres autobiographiques est un recueil de récits autobiographiques, paru en 2002 aux Éditions Grasset.

Il comprend les cinq récits suivants augmentés d'un index général : 

- 1973 : Le Temps qui reste, essai d'autobiographie professionnelle
- 1977 : Le Refuge et la Source, carnets autobiographiques
- 1992 : La Blessure suivi de Le temps qui vient, carnets autobiographiques
- 1998 : Avec le temps : carnets 1970-1998, carnets autobiographiques
- 2000 : Soleils d'hiver : carnets 1998-2000, carnets autobiographiques

Jean Daniel, Jean Daniel Bensaïd, Journaliste, Écrivain, Autobiographie, L'Obs, "Le Nouvel Observateur", Algérie, "Politique française", Carnets, Sylvie Germain, Andrea Camilleri, "Le temps qui reste", "Le Refuge et la Source", "La Blessure", "Avec le temps", "Soleils d'hiver", "Le temps qui vient"