samedi 18 mars 2023

ÉPISODE 2 : LES COTISATIONS SYNDICALES

Diffusion de trois épisodes, à intervalles réguliers, avec comme objectifs d’analyser les documents préparatoires transmis par l’UNEQ en vue de l’assemblée extraordinaire du 29 mars prochain, d’interroger et de rectifier les faits, les projections, les analyses qui nous paraissent discutables, mal fondées, ou inexactes.

ÉPISODE 2 :

LES COTISATIONS SYNDICALES

CHARGES : $ $ $ $

L’UNEQ a besoin d’argent, de beaucoup d’argent, nous dit-on sur tous les tons, pour mettre à profit les nouveaux pouvoirs que lui donne la Loi sur le statut de l’artiste. Il lui faudra engager des avocats, des conseillers juridiques, des négociateurs professionnels pour en arriver à signer des ententes collectives avec l’ANEL, SOGIDES et de nombreuses maisons d’édition individuelles, les festivals littéraires, l’Association des salons du livre, l’Association des libraires, l’Association des bibliothèques publiques... (Le Guide ajoute à cette liste un etc., dont la nature reste inconnue, et précise que « le chantier est colossal ».) Mais pourquoi entreprendre autant de négociations de front à cette étape préliminaire ?

Il faut donc à l’UNEQ de l’argent, beaucoup d’argent... Toujours selon le Guide, entre 220 000 $ et 400 000 $ par an, pour les deux ou trois prochaines années. Déjà, on remarque un écart significatif entre le minimum et le maximum. À partir de quel étrange budget en arrive-t-on à un pareil écart ? Mais de budget, point. (Qui engagerait un entrepreneur sans un devis des frais à prévoir, qui pourraient passer du simple au double ?)

Après avoir négocié ces ententes collectives, il faudra les faire respecter, obtenir les relevés et les paiements des producteurs, admonester les récalcitrants, etc. L’UNEQ continuera d’avoir besoin d’argent, de beaucoup d’argent.

Comment trouver cet argent ? D’abord en vendant à bas prix la Maison des écrivains. L’évaluation foncière fixe sa valeur à 2 400 000 $, mais les dirigeants de l’UNEQ ne croient pas pouvoir en obtenir plus de 1 400 000 $ (avec un peu de chance, 1 600 000 $). Mais cela ne semble pas les préoccuper outre mesure, malgré l’importance reconnue de cette Maison dans le paysage littéraire québécois. Nous y reviendrons dans le prochain épisode.

PRODUITS : % % % %

L’autre source de revenus, ce seront les cotisations syndicales sur les revenus des écrivains qui s’ajouteront à la cotisation associative. La résolution sur laquelle les écrivains devront voter lors de l’assemblée générale extraordinaire du 29 mars prochain fixe ces cotisations syndicales à 2,5 % pour les membres de l’UNEQ et à 5 % pour les non-membres.

Certains écrivains se sont demandé si l’UNEQ était véritablement un syndicat et ont mis en doute son droit de prélever des cotisations syndicales. En fait, l’UNEQ a été créée sous la Loi des syndicats professionnels et reconnue comme l’association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature. C’est cette reconnaissance qui lui permet, entre autres, de « fixer le montant qui peut être exigé d’un membre ou d’un non-membre de l’association » (article 24, 4e alinéa).

D’autres questions se posent. La première : sur quelle base, l’UNEQ a-t-elle choisi de prélever 2,5 et 5 % de la rémunération versée aux écrivains à titre de cotisations syndicales ? Le Guide nous informe qu’elle « s’est inspirée des pratiques existantes chez certains syndicats d’artistes ». La SARTEC, l’UDA et l’AQAD prélèvent 2,5 % et la Guilde des musiciens, l’Association des réalisateurs et l’APASQ, un peu plus. Il faut savoir que chacune de ces associations a obtenu, grâce aux négociations, d’importantes contributions des producteurs aux avantages sociaux des membres, entre 7 et 14 %. Peut-on imaginer que les éditeurs consentiront allègrement à contribuer à la création d’un filet social pour les écrivains membres de l’UNEQ ? À cette question, l’UNEQ répond qu’il s’agit d’une cotisation supplémentaire à négocier, qui sera payable par les éditeurs et autres entités, avec lesquelles elle parviendra à signer des ententes collectives.

La deuxième question : peut-on savoir à combien l’UNEQ estime les revenus qu’elle tirera de ces cotisations ?

Le Guide nous explique qu’il « est difficile » de dire « quel montant global représenteront les cotisations syndicales, car beaucoup de variables demeurent pour le moment inconnues ». On annonce également aux membres qu’ils pourront consulter les prévisions budgétaires de l’UNEQ le jour de l’assemblée extraordinaire du 29 mars. Vraiment ? Pendant l’assemblée même, quelques minutes avant de voter, « pour permettre à chaque membre de prendre une décision éclairée » ? Par précaution, sans doute, l’UNEQ ajoute que les cotisations syndicales ne seront pas plafonnées, « devant l’incertitude des prévisions budgétaires », et que les taux pourront évoluer selon la santé financière de l’association…

Il est clair qu’une organisation responsable aurait déjà fait des projections de ses rentrées d’argent et établi des priorités dans les ententes qu’elle a l’intention de négocier, pour privilégier celles qui lui rapporteront le plus. L’UNEQ devrait donc faire connaître maintenant ses projections de revenus pour chacun des secteurs de négociation qu’elle veut entamer.

SOLDE : ? ? ? ?

Une troisième question : au terme de ces négociations, qu’est-ce que l’UNEQ prévoit obtenir de plus financièrement pour les écrivains ? Que va-t-elle même demander ? On n’en sait rien. Le Guide ne le précise pas. De sérieux doutes ont déjà été soulevés par rapport à la possibilité d’une contribution des éditeurs à un filet social digne de ce nom. On peut aussi se demander s’il est réaliste d’espérer voir augmenter le pourcentage habituel de 10 % en droits d’auteur sur le prix de vente des premiers milliers d’ouvrages écoulés. Ce que l’on sait, par contre, c’est que l’UNEQ compte prélever une partie des revenus des écrivains.

Bref, l’UNEQ exige un chèque en blanc, sans garantie de résultat. Ne serait-il pas préférable qu’elle utilise une partie des centaines de milliers de dollars qu’elle a en banque pour démontrer son savoir-faire et obtenir des résultats, avant de puiser dans des revenus, ceux des écrivains, qui sont souvent minimes ? Elle pourrait alors se présenter devant ses membres avec des arguments concrets, afin qu’ils la soutiennent dans la poursuite de ses efforts.

LA BULLE : O O O O

Les informations partielles, contenues dans le Guide au sujet des cotisations syndicales, ne sont parvenues aux écrivains qu’après une levée de boucliers contre la façon de procéder des dirigeants de l’UNEQ. Ceux-ci n’avaient pas vu jusque-là la nécessité de consulter l’ensemble des membres ni de remettre en question ses décisions, se contentant de l’approbation d’une quarantaine de membres lors de l’assemblée générale du 20 juin 2022, en mode virtuel.

Résultat : le Guide n’expose que la seule voie entrevue par le conseil d’administration et la direction générale. L’argumentaire qui y est développé ne peut en aucun cas tenir compte de propositions qui conduiraient l’UNEQ dans une autre direction.

À preuve, les lettres de deux écrivains, Sophie-Luce Morin et Yvon Rivard, qui ont participé au comité consultatif sur les cotisations. L’une estime qu’elle a eu très peu de pouvoir dans les discussions et craint que le projet d’entente collective soit un puits sans fond. L’autre, que les nouvelles dépenses de l’UNEQ soient un gouffre financier, qui menace son existence même et ses acquis, et que les gains futurs ne justifient pas les frais encourus. Yvon Rivard regrette également que le comité n’ait pas tenu compte du fait que l’UNEQ doit non seulement défendre les droits et les intérêts des écrivains, mais aussi promouvoir la littérature québécoise.

Par ailleurs, le comité n’a retenu aucune des suggestions de financement proposées par ces écrivains. Pis, la présidente s’est attaquée à Sophie-Luce Morin par l’entremise des médias, l’accusant de manquer de solidarité, ne lui reconnaissant pas, de ce fait, le droit à la liberté d’expression et à la dissidence. Pourtant ne retrouve-t-on pas dans les Statuts et Règlements de l’UNEQ, à la section 3, cet objet : Défendre la liberté d’expression des auteurs ?

LA MISSION : ½ ½ ½ ½

La Loi sur le statut de l’artiste n’a pas explicitement modifié les règlements de l’UNEQ, tels qu’ils sont décrits dans les Lettres patentes de l’association, sous la rubrique « Objets ». Elle n’oblige pas non plus de privilégier la défense des droits socio-économiques des membres au détriment de la mise en valeur de la littérature québécoise. Elle a simplement donné à l’UNEQ de nouveaux outils pour remplir son mandat de « promouvoir des intérêts professionnels, moraux et économiques » de ses membres, qui lui permettent d’« élaborer et négocier un contrat-type qui satisfasse les droits des écrivains ». (Lettres patentes 1977, date de la création de l’UNEQ)

Conformément aux Lettres patentes, l’UNEQ devrait donc continuer à « travailler à l’épanouissement de la littérature québécoise », à « assurer des rapports suivis avec le monde de l’enseignement, des médias, des bibliothèques ainsi qu’avec les autres Associations d’écrivains », à « favoriser des échanges internationaux et accueillir les écrivains étrangers » et à « organiser des rencontres professionnelles. » (Lettres patentes 1977)

 

Toutefois, lorsque les Statuts et Règlements ont été modifiés en 2019, l’obligation de travailler à l’épanouissement de la littérature québécoise a été omise, ainsi que celles d’accueillir les écrivains étrangers et d’organiser des rencontres professionnelles. À l’article 3.1, il est pourtant écrit : « Les objets de l’Association sont tels que précisés dans le certificat de constitution du 21 juin 1977. »

En ce moment, rien n’oblige l’UNEQ à concentrer une part prépondérante (et croissante) de ses ressources financières et immobilières, et de son personnel, à la seule tâche de négocier. Le résultat des négociations ainsi que les coûts encourus étant imprévisibles, l’UNEQ risque de compromettre sa mission à l’égard de la littérature québécoise et, par conséquent, le financement qui lui est alloué pour en faire la promotion. À quoi servirait-il alors de négocier des ententes collectives, si l’intérêt pour la littérature québécoise décroît, parce que sa promotion et sa diffusion sont défaillantes ? Poser la question, c’est y répondre.

ÉPISODE 3 : La Maison des écrivains

Pierre Lavoie, directeur général de l’UNEQ de 1993 à 2010