mardi 21 mars 2023

ÉPISODE 3 : LA MAISON DES ÉCRIVAINS

Diffusion de trois épisodes, à intervalles réguliers, avec comme objectifs d’analyser les documents préparatoires transmis par l’UNEQ en vue de l’assemblée extraordinaire du 29 mars prochain, d’interroger et de rectifier les faits, les projections, les analyses qui nous paraissent discutables, mal fondées, ou inexactes.

ÉPISODE 3 :

LA MAISON DES ÉCRIVAINS

LE MIROIR AUX ALOUETTES

La résolution que l’UNEQ entend soumettre au vote lors de l’assemblée extraordinaire du 29 mars prochain semble, à première vue, avoir été rédigée de manière à tenir compte des inquiétudes des écrivains qui veulent que la Maison conserve sa vocation littéraire. Pourquoi alors, dans les médias sociaux, plusieurs se demandent-ils sur quoi exactement on leur demandera de voter : un moratoire ou la vente de la Maison des écrivains ?

Consultons le dictionnaire... Un moratoire, c’est la suspension temporaire de quelque chose, ce n’est pas son élimination. En d’autres mots, si les écrivains votent pour le moratoire, pensant qu’il aboutira à autre chose qu’à la vente de la maison, ils s’illusionnent.

Qu’adviendra-il du moratoire si un organisme culturel se présente à la mi-mai, par exemple, avec une offre d’achat de la Maison ? L’UNEQ lui demandera-t-elle d’attendre dix-huit mois pour respecter le moratoire ou vendra-t-elle immédiatement sans consulter les membres ? Qu’advient-il si l’organisme qui achète la Maison éprouve des difficultés financières, l’empêchant de mener à terme son engagement de maintenir sa vocation littéraire ? L’UNEQ récupèrera-t-elle la Maison ? On peut en douter. Quels seront ses recours et, s’il y en a, quel en sera le coût ? Après avoir vendu la Maison pour financer son mandat syndical, l’UNEQ voudra-t-elle consacrer des fonds pour la récupérer ?

Le moratoire est un miroir aux alouettes : séduisant, mais trompeur. Ni un progrès ni une avancée. Voter pour le moratoire, en croyant protéger la vocation de la Maison, est un leurre. Ce vote sur le moratoire ne fait que reporter temporairement une vente sur laquelle les membres n’auront plus aucun contrôle.

VENDUE

À qui appartient la Maison ? Réponse du Guide : À la personne morale qu’est l’UNEQ, qui a une identité juridique distincte de celle de ses membres. En d’autres mots, l’UNEQ détiendrait l’autorité « morale » de vendre la Maison, malgré la volonté de ses membres, qui n’avaient, après tout, qu’à ne pas élire les administrateur.trice.s du c.a. actuel.

REPRÉSENTER : « Agir au nom de quelqu’un en vertu du mandat que l’on a reçu. » Ha, bon  ! ? L’UNEQ avait reçu le mandat de vendre la Maison ? Première nouvelle.

Qui finance la Maison des écrivains ? Réponse du Guide : « L’UNEQ ne reçoit pas de subventions spécifiquement dédiées aux coûts de la Maison. Le financement actuel repose donc […] sur les cotisations des membres. En réalité, l’UNEQ reçoit des subventions de fonctionnement qui servent, entre autres, aux coûts d’entretien de la Maison.

Réponse du Guide : les coûts futurs d’entretien de la Maison des écrivains seront exorbitants. Ils passeraient de 51 327 $, en 2022-2023, à 174 424 $ en 2023-2024. Le triple ! Même les coûts du ménage tripleraient : de 4 539 $, en 2021-2022, à 12 000 $ en 2023-2024. Les coûts reliés au personnel seraient multipliés par 4,7 %, bondissant de 12 259 $ à 57 500 $, sans justification aucune d’un ajout de 18 000 $ pour la régie du personnel, et de 26 000 $ pour l’administration et la coordination du personnel. S’ajouteraient 13 500 $ pour les événements et les productions de l’UNEQ, alors que rien n’apparaît à ce chapitre dans le budget des années précédentes, au cours desquelles des événements ont bel et bien eu lieu à la Maison. S’ajouteraient, finalement, le coût des taxes foncières : 10 600 $, et les coûts des futures réparations : 45 000 $.

CES « FUMEUSES » TAXES FONCIÈRES

« L’exemption qui avait été obtenue à la suite d’un jugement de la Cour municipale de Montréal est réexaminée périodiquement, et son interruption prochaine [dans deux, trois ans selon l’UNEQ] augmentera considérablement le compte de taxes » (15 décembre 2022). « Nous estimons aujourd’hui que les taxes foncières pourraient s’élever de 70 000 $ à 80 000 $ par année » [déclaration transmise à La Presse le 14 janvier 2023], ce qui représenterait entre 6 et 8 % de notre budget, et 35 à 40  % du total des cotisations annuelles des membres. »

Pourtant, « aucun réexamen de l’exemption n’est prévu dans les quatre prochaines années, a confirmé la Commission municipale du Québec (CMQ) à La Presse. À moins de modifications majeures du propriétaire ou des activités des utilisateurs, la Commission n’a pas à réviser sa décision de 2018 avant un délai de 9 ans », soit le 24 mai 2027, a répondu Isabelle Rivoal, porte-parole de la CMQ.

Me Daniel Payette, conseiller juridique de l’UNEQ, estime qu’il « est impensable que la promotion de la littérature demeure l’utilisation principale de la Maison. […] Il suffit que vous ajoutiez un bureau et un employé et vous pouvez perdre l’exemption. » (La Presse, 14 janvier 2023)

Si le mandat de l’UNEQ n’est pas seulement de défendre les droits socioéconomiques des écrivains, mais aussi de promouvoir la littérature québécoise, de quel droit l’association privilégierait-elle la négociation d’ententes collectives, au point de ne plus être en mesure de répondre aux exigences de la CMQ ? Celle-ci, en 2018, a évalué que la Maison répondait aux critères de la Loi sur la fiscalité municipale en hébergeant des « activités d’ordre informatif ou pédagogique destinées à des personnes qui, à titre de loisir, veulent améliorer leurs connaissances dans le domaine de la littérature ». (La Presse, 14 janvier 2023.)

Si l’UNEQ souhaite modifier ses « objets », en mettant l’accent sur son rôle syndical et en délaissant ses activités littéraires, elle doit, pour ce faire, « obtenir l’approbation des 2/3 des voix des membres en règle présents à une assemblée générale extraordinaire dûment convoquée à cette fin. » (Article 10.2 des Statuts et Règlements de l’UNEQ).

Réponse du Guide : l’UNEQ ne compte pas « renoncer à son mandat de valorisation de la littérature ». Pourquoi craint-elle alors de perdre son exemption ? Parce que la Maison « n’est pas le seul moyen de l’UNEQ de faire rayonner la littérature québécoise ». « Il faut se servir des nouveaux outils », grâce auxquels « de nombreuses actions de grande ampleurs font leurs preuves. » MERCI Google, Face Book, Twitter, Instagram, Snap Chat, Tik Tok, etc. !

On peut douter de la volonté des dirigeants de l’UNEQ à l’égard de la promotion de la littérature québécoise, lorsqu’on écoute l’entrevue qu’a donnée la vice-présidente actuelle, lors de la présentation en vidéo des candidat.e.s aux élections de juin 2022. « Il va falloir revoir de fond en comble qui on est, ce qu’on fait, comment on le fait parce que la Loi va nous octroyer de nouveaux pouvoirs, de nouvelles responsabilités. […] C’est la priorité absolue. La deuxième priorité, qui fait écho à celle-ci, c’est de solidifier la Fondation Lire pour réussir, de lui donner un mandat clair, de la faire grandir pour que ça devienne une entité autonome et qui va se charger de tout l’aspect promotion et diffusion de la littérature québécoise, parce que l’UNEQ en elle-même va vraiment devoir s’impliquer à fond dans l’aspect syndical de son mandat, de bien partager ces tâches-là, mais pour ce faire la Fondation a besoin d’argent, a besoin d’être solide. C’est une priorité qui serait en parallèle de celle de la lutte pour nos conditions socioéconomiques. »

Décharger l’association de son mandat littéraire en le confiant à une Fondation, qui serait une entité autonome, mais qui, elle aussi, aura bien besoin d’argent…

CES « FUMEUSES » RÉPARATIONS

La page 11 du Guide est une merveille d’informations vides de contenu et impossibles à vérifier. On y dresse la liste des réparations à venir, sans préciser un calendrier d’exécution, des priorités, des coûts reliés à chacune des réparations ni de répartition de l’amortissement. Bref, on doit se contenter de croire que l’UNEQ devra consacrer 45 000 $ au cours des deux années à venir et 30 000 $ les deux années suivantes, qu’il n’y aura aucun amortissement des travaux et que, en cinq ans, l’association devra débourser entre 180 000 $ et 220 000 $. Après la saga de l’exemption des taxes foncières, qui allait nous être retirée sous peu, celle des réparations à venir, qui seront abondantes, onéreuses et impossibles à financer.

D’où la nécessité de vendre la Maison. CQFD.

VENDRE, À QUEL PRIX ?

La Maison des écrivains a été achetée en 1990 pour 335 000 $. Il a fallu y investir 600 000 $, en fonds publics, pour sa mise à niveau. Sa valeur actuelle est estimée par la Ville de Montréal à 2 453 300$ $. Pourtant, des évaluateurs professionnels croient que sa valeur sur le marché se situerait  entre 1 300 000 $ et 1 600 000 $ : ralentissement du marché immobilier, hausse des taux d’intérêt et règlements de zonage.

L’UNEQ ne mentionne pas ces règlements de zonage. Ils sont pourtant cruciaux. Les usages autorisés dans les catégories H.2 et H.4, qui s’appliquent à la Maison des écrivains, sont restrictifs. Selon les règlements d’urbanisme du Plateau Mont-Royal, un acheteur éventuel ne pourrait que transformer la Maison en bâtiment à deux logements (H.2) ou en bâtiment de 4 à 8 logements, en gîte, en maison de retraite ou en maison de chambres (H.4). On peut imaginer les coûts qu’entraîneraient ces transformations et les contraintes qu’elles représenteraient pour l’acheteur. Point étonnant que 1 000 000 $ doivent être retranchés de la valeur foncière de la Maison.

Si la maison ne peut être vendue que 1 400 000 $, alors qu’elle a coûté 935 000 $ (achat et rénovations) en 1990, sa valeur n’aura augmenté que de 465 000 $ en trente-trois ans… En d’autres mots, cette vente ne profitera pas à l’UNEQ.

POURTANT…

Les écrivains tiennent à cette Maison. À preuve, une lettre envoyée au ministre de la Culture et signée par cinquante-cinq  écrivain.e.s, dont des membres d’honneur, d’ancien.ne.s président.e.s et de nombreux membres de l’UNEQ. Dès sa fondation en 1977, l’UNEQ avait pour objectif de créer une Maison des écrivains. L’achat du 3492, rue Laval était motivé par un désir de notoriété, de prestige, et par la volonté d’offrir  un lieu de rencontre et d’animation. Vendre cette Maison, c’est rejeter plus de trente ans d’histoire et priver le milieu littéraire d’un lieu culturel irremplaçable.

Et les écrivains ne sont pas les seuls à le penser. « Le bâtiment et la mission de la Maison des écrivains sont au cœur de l’identité de notre métropole culturelle et nous espérons que le conseil d’administration pourra rapidement rassurer ses membres quant à l’avenir de leur siège social », écrit Catherine Cadotte, attachée de presse principale du Cabinet de la mairesse et du Comité exécutif de Montréal. (La Presse, 14 janvier 2023)

Dans un courriel transmis à La Presse, le ministère de la Culture dit demeurer « vigilant » et précise qu’il collaborera avec la Ville de Montréal « si des mesures particulières doivent être prises ».

Les dirigeants actuels de l’UNEQ se sont-ils renseignés pour savoir s’ils auraient accès à des programmes d’aide pour maintenir la Maison en état ou ont-ils opté pour la première solution qui leur est venue en tête, soit s’en débarrasser ?

On ne peut que conclure que la décision de vendre la Maison des écrivains est propre au c.a. actuel et ne découle pas d’une nécessité. Si celle-ci avait été de conserver la Maison, le c.a. aurait cherché et trouvé les moyens d’y arriver, comme il cherche à trouver les moyens de financer les négociations tous azimuts qu’il est décidé à entreprendre.

Comme dit le proverbe :

« Qui veut faire quelque chose, trouve toujours un moyen. Qui ne veut rien faire, trouve une excuse. »

Pierre Lavoie, directeur général de l'UNEQ de 1993 à 2010

 

POUR COMPLÉTER CE TROISIÈME ET DERNIER ÉPISODE :

LIBRE OPINION :

« HÉRITAGE. Vendre la Maison des écrivains, vraiment ? L’UNEQ revient 30 ans en arrière en renonçant à ce lieu de mémoire, d’échanges et de rencontres », Le Devoir, 29 décembre 2022, p. A 7.

LETTRE AU MINISTRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS DU QUÉBEC

 Ces deux derniers documents sont publiés dans une autre page.