mardi 21 mars 2023

ÉPISODE 3 - LA MAISON DES ÉCRIVAINS (1ER DOCUMENT D'ACCOMPAGNEMENT)

LIBRE OPINION :

« HÉRITAGE. Vendre la Maison des écrivains, vraiment ? L’UNEQ revient 30 ans en arrière en renonçant à ce lieu de mémoire, d’échanges et de rencontres », Le Devoir, 29 décembre 2022, p. A 7.

Dans l’édition du 23 décembre 2022 du Devoir, l’éditorialiste Louise-Maude Rioux Soucy s’étonne de l’impréparation de l’UNEQ dans la diffusion et la mise en place d’un nouveau rôle syndical qui lui permet désormais de négocier des ententes collectives au nom des écrivaines et des écrivains, membres ou non de l’UNEQ. Elle souligne, au passage, qu’« il aura fallu presque six mois pour que son contenu fasse irruption dans l’espace public », et ce après la tenue d’une assemblée générale tenue le 20 juin dernier…

Les nombreuses réactions publiées à ce jour concernent strictement le nouveau rôle syndical de l’UNEQ. Dans son communiqué du 15 décembre 2022, il est pourtant aussi question de la mise en vente de la Maison des écrivains, maison patrimoniale du Carré Saint-Louis, lieu hautement symbolique arpenté et habité par de nombreux écrivains et artistes : Émile Nelligan, Gaston Miron, Michel Tremblay, Gérald Godin et Pauline Julien, André Gagnon, Gilles Carle et Chloé Sainte-Marie, pour n’en nommer que quelques-uns.

Sans avoir consulté formellement les écrivaines et les écrivains, les sept membres du conseil d’administration ont donc pris la décision, entérinée par l’assemblée du 20 juin, de vendre cette maison, fréquentée par des milliers de Montréalais, de Québécois et de délégations étrangères. Inaugurée en octobre 1992 par Marcel Masse, ministre des Communications du Canada, et par Liza Frulla, ministre des Affaires culturelles du Québec, rappelons que leurs ministères avaient financé la rénovation de la maison de Claude Jutra et de sa sœur Mimi. Transformée grâce à des fonds publics, cette maison appartient tout autant aux Québécois qu’à leurs écrivains. Un référendum électronique aurait dû, minimalement, être tenu, dans le but de vérifier si la proposition du conseil d’administration recueillait l’assentiment d’une majorité d’écrivains.

« Afin de mener à bien ces objectifs ambitieux, l’UNEQ doit plus que jamais assurer sa stabilité financière. La vente de son siège social, discutée à plusieurs reprises au cours des quinze dernières années, devient incontournable et est l’un des points marquants du plan d’action 2023-2025. » (Extrait du communiqué de l’UNEQ)

Directeur général de l’UNEQ de 1993 à 2010, je peux affirmer que cette question n’a jamais été discutée par le c.a. pendant cette période. Interrogée à ce sujet, Danièle Simpson, présidente de l’UNEQ de 2010 à 2016, confirme que la vente de la Maison a été discutée, mais que, au terme de plusieurs consultations, l’UNEQ a conclu que la location à long terme était plus coûteuse que l’entretien de la maison. Il s’agit donc d’un projet porté depuis quelques années seulement, sous la présidence de Suzanne Aubry et la direction générale de Laurent Dubois. Pourquoi l’UNEQ n’explique-t-elle pas en quoi la vente de la Maison, qu’elle présente actuellement comme incontournable, lui permettra de faire des économies substantielles, alors qu’elle devra se reloger ? Bien qu’il soit surtout question de sous, les chiffres sont étrangement absents de son argumentaire.

Les associations d’écrivains à travers le monde sont nombreuses à s’être dotées d’une maison prestigieuse pour mettre en valeur la littérature et leurs auteurs : la Société des gens de lettres de France possède l’Hôtel de Massa, à Paris ; la Maison des écrivains et de la littérature de Belgique dispose depuis 2004 de Passa Porta, Maison internationale des littératures, qui permet à des écrivains étrangers de résider, soit à Bruxelles, soit dans la campagne flamande, dans la Villa Hellebosch, à Vollezele ; la Maison des écrivaines, des écrivains et des littératures dispose, quant à elle, d’un château situé à Monthey, dans le Valais suisse : l’Association des écrivains du Sénégal dispose depuis 2004, à Dakar, de la Maison des écrivains Keur Birago Diop, un espace culturel polyvalent ; la Maison de la littérature de la Ville de Québec est aménagée dans l’ancien temple Wesley, au cœur du Vieux-Québec ; la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) loge dans sa propre maison, rue Panet, à Montréal, et je pourrais continuer…

Pendant que le gouvernement du Québec finance à grands frais la transformation de l’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice en Maison de la chanson et de la musique, l’UNEQ, elle, revient 30 ans en arrière en se débarrassant de sa Maison des écrivains.

Force est de constater qu’en cherchant à renforcer son rôle syndical, l’UNEQ met de côté une partie importante de son mandat originel, c’est-à-dire la promotion et la diffusion de la littérature québécoise. En rejoignant  « les locaux de l’Union des artistes, rue de Gaspé, à Montréal, où se trouve déjà la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec », l’UNEQ ne disposera plus d’une maison ouverte à tous pour l’accueil de nombreuses personnalités, tant québécoises qu’étrangères, pour la tenue de nombreuses activités, telles celles du Festival international de la littérature (FIL), des lancements, tables rondes, conférences, etc. Le financement accordé par les trois Conseils des arts, fondé sur la base des services qu’elle offre pour la valorisation et la promotion de la littérature québécoise, souffrira-t-il de la perte de ces services ? Comment expliquer que l’UNEQ ne dise rien à ce sujet ?

L’UNEQ affirme qu’elle « a saisi cette occasion en or qui lui permet de se rapprocher d’autres syndicats d’artistes et de favoriser le partage de ressources […] ». Il s’agit là d’une vision strictement administrative, qui s’oppose à une vision politique, symbolique, patrimoniale, sans oublier que l’UNEQ, dans ce démantèlement à venir, devra se défaire des deux bibliothèques d’ouvrages québécois qui rendent attractifs le Salon Émile-Nelligan (don du critique littéraire Réginald Martel) et la salle de conférence – Bibliothèque Bruno-Roy, nommée en hommage à celui qui a exercé la présidence de l’UNEQ pendant le plus grand nombre d’années et qui, avec Denise Boucher, s’est battu pour l’acquisition et la mise en valeur de ce patrimoine immobilier et littéraire. Quant à « l’apport équitable à tous ses membres, y compris celles et ceux qui habitent à l’extérieur de Montréal et qui ne peuvent pas profiter de la Maison des écrivains », tel que mentionné par Suzanne Aubry dans le communiqué de l’UNEQ, sera-t-il plus équitable, pour les membres en région, dans les locaux de la rue de Gaspé, partagés avec l’UDA et la Guilde des musiciens ? L’UNEQ risque d’y perdre son âme.

Certes, les 46 membres présents, sur les 1 600 membres de l’UNEQ, avaient l’autorité légale d’entériner les propositions qui leur étaient soumises. Il n’en demeure pas moins que, sur le plan démocratique, la conduite de l’UNEQ laisse à désirer. Craignait-elle une opposition aux propositions qui allaient modifier radicalement son visage de syndicat professionnel, dont le mandat originel est la défense des droits socio-économiques des écrivains et la promotion et la diffusion de la littérature québécoise, au Québec et à l’étranger ? Faut-il rappeler que le rôle d’un conseil d’administration n’est pas seulement de prendre des décisions, mais aussi de rendre des comptes, d’être transparent, de consulter ses membres, d’accepter le débat, en mettant en place les conditions qui lui permettent d’avoir lieu ?

Pour remettre en perspective cette décision, à mes yeux hâtive et fondée sur de fausses prémisses, une seule solution existe : ouvrir le débat démocratique en tenant un référendum électronique auprès de tous ses membres. On peut se demander si le c.a. actuel n’a pas manqué de sens historique en ne consultant pas le c.a. fondateur, composé des membres d’honneur Nicole Brossard, Jacques Godbout, André Major et Pierre Morency, pour qui la Maison des écrivains constituait l’un de ses objectifs.

« [Si l’UNEQ] ne veut pas que la grogne et la méfiance s’installent à demeure, il lui faut, surtout, une séance de rattrapage démocratique. Il y va de sa crédibilité. » (Louise-Maude Rioux Soucy)

Pierre Lavoie, directeur général de l’UNEQ, 1993-2010